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Douce nuit, une nouvelle de Jean-Yves Alt

Publié le par Jean-Yves Alt

Il n’est pas encore minuit. Ils se promènent. Ils marchent sur le bas-côté. Ils croisent des phares blancs sans jamais savoir qui ils viennent de manquer. Ce sont des cris d’enfants qu’ils entendent au loin. Ils aperçoivent des lueurs comme celles qu’apporte un groupe porteur de bougies. Ils n’en ont pas allumé, eux. IL a refusé. LUI souhaitait. Ils parlent. Ils parlent de la nuit, des étoiles qu’ils ne voient pas. Ont-ils envie de faire l’amour ? IL déboutonne le haut de son manteau. LUI dénoue sa grande écharpe. Ils s’enserrent en marchant côte à côte.
Quelques phares balaient quelques feuilles. Puis c’est le noir. Ils ne cessent de se tenir de très près. Un conducteur roule si vite qu’il ne les a probablement pas aperçus. IL veut s’enfoncer dans la forêt qui longe la route. LUI a peur des esprits qui pourraient y régner. IL a peur. IL le dit. IL a peur peut-être de LUI. IL l’embrasse. Un camion passe. Ils se jettent plus loin dans le bas-côté ; ils sont invisibles. Ils glissent. Ils sont à terre. LUI a trop peur : ils reviennent à la route.
Ils entendent un crissement, c’est une bécane. Elle va dans la direction où ils entendaient les cris d’enfants. Le cycliste semble pressé. Ils devinent qu’il est attendu, qu’il va rejoindre sa famille.
Ils imaginent qu’à son arrivée, il sera entouré, qu’il sera inséré dans un ordre qu’ils ne connaissent pas.
Eux, ils se touchent, ils se caressent, ils s’aiment dans cette particulière nuit d’hiver. LUI s’indigne en riant. IL répond par un sourire en l’embrassant à nouveau.
Plus tôt, dans l’après-midi. C’est autour d’un téléphone public, accroché dans une cabine dévastée. IL murmure. LUI tente d’écouter cette conversation téléphonique qui ne le concerne peut-être pas. LUI attend, exaspéré, remuant. IL continue à parler dans le combiné.
Quelques semaines avant, en début de soirée, ils sont dans une église. Des statues de plâtre ceignent la nef, des fleurs pourrissent dans les vases. LUI a peur des morts. Ils passent près de la corde qui permet d’actionner la cloche. Ils évoquent des histoires de morts, ils ne précisent pas. Ils retiennent leurs gestes. En sortant, dans le cimetière, sur une plaque, en épitaphe, ils lisent « Je suis toujours là ».
Debout, enlacés, au bord de la route, ils entendent de mieux en mieux les voix des familles, les rires qui viennent du loin. Le froid glacial de cette nuit brûle leurs joues. Ils voient la lune dans une flaque d’eau. Ils épiloguent, imaginent : LUI surtout, une histoire, eux au bord de l’eau. Ils sont seuls et voient de mieux en mieux les lueurs du lointain. IL a un visage éclatant et son sourire est total. LUI assombrit sa face, il abhorre les joies familiales.
IL : J’ai dit « non » tout à l’heure. Je voulais être avec toi, seulement avec toi.
LUI demande où aller. IL indique un chemin escarpé sur la colline. LUI rouspète contre cette escalade mais ils montent. Ils s’embrassent et marchent.
Dans une cabane, ils se déshabillent complètement. On voit deux corps et les gestes de l’amour.
Depuis cette première nuit, on peut les voir dans un train, un bus, une barque, une voiture, sous un pont, au bord d’un lac, dans un champ de fleurs, dans l’eau d’un torrent, dans un magasin de jouets, dans un café. On peut les voir écrire, manger, se regarder, se parler, se toucher, s’embrasser. On peut les voir dans une maison. Leur maison.
Cette première nuit, c’était la nuit de Noël.

Cette nouvelle est parue dans le recueil : Un cadeau de Noël pour Le Refuge (Volume Sven de Rennes), collectif, éditions Textes Gais, novembre 2014, ISBN : 979-1029400001


Cette nouvelle est traduite en espéranto sur le site : Gejaj rakontoj en Esperanto par Ĵeromo Tanguy sous le titre : Milddolĉa nokto.

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G
J'aime beaucoup votre texte. Magnifique !
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C
Joli texte ! Merci !
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F
super !
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J
Merci.