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Un curieux serviteur par Christian Combaz

Publié le par Jean-Yves Alt

On relève dans l'Évangile un passage suspect (Matthieu 8: 5-13 et Luc 7: 1-10) qui éveille la curiosité de l'historien et du romancier, celui où un centurion romain vient voir Jésus pour lui demander du secours car son serviteur est malade.

Imaginez un colonel du Pentagone qui traverserait Washington à 1 heure du matin pour réclamer l'intervention d'un médecin d'urgence au chevet de son employé mexicain. Le médecin se dirait : « C'est bizarre. » Là, nous avons un brigadier (élu) d'une armée puissante où les pratiques homosexuelles étaient ultrarépandues, et qui se préoccupe du sort d'un simple serviteur, en allant voir un guérisseur juif dont on lui dit grand bien mais qui fait partie du peuple écrasé par l'envahisseur.

Dans le texte de l'Évangile selon saint Luc, les mots grecs sont « entimos doulos », ce qui se traduit par « esclave favori » ; quant à Matthieu, dans la conversation qu'il rapporte entre le centurion et Jésus, il utilise deux mots, l'un pour désigner ses esclaves ordinaires, « doulos », et l'autre, « pais », pour désigner le jeune malade, ce qui lui donne un statut particulier d'enfant chéri de la maison.

Il nous reste de cette scène ce curieux échange verbal que rapportent les chrétiens à la messe en se frappant la poitrine :

« Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri. »

Selon toute vraisemblance, le centurion, instruit du peu d'indulgence que montraient les Juifs à l'égard des pratiques pédérastiques de l'armée romaine, a probablement conçu un scrupule de dernière minute et s'est dit : « Les Juifs n'aiment pas nos mœurs, je ne vais pas braquer ce Jésus et compromettre mon affaire en lui demandant de me suivre chez moi pour lui montrer de quel genre de serviteur il s'agit. »

À quoi le prophète juif répond à la cantonade que non seulement la confiance de cet homme à son égard est très grande, mais que les Juifs, si orthodoxes, si assurés d'être du bon côté, ne seront pas les premiers au Royaume des Cieux.

Christian Combaz

in Les âmes douces : personne n'est contre-nature, Editions Télémaque, 320 pages, 8 octobre 2015, ISBN : 978-2753302792, pp. 172-173

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