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La course au bonheur (histoire d'une vie, gay), Benoît Lapouge

Publié le par Jean-Yves Alt

Benoît Lapouge comme la plupart des hommes est un être blessé et à la fois plein de vie : son livre est écrit comme s'il s'adressait à un frère imaginaire, pour faire un point sur sa vie, pour prolonger son chemin.

Nous sommes tous semblables en cela. Nous saouler de mots, afin de mieux nous découvrir, pour lutter contre notre solitude, contre les enfermements de toutes sortes, rugir nos amours disparus avec la fougue du désespoir…

Dans le récit de Benoît Lapouge, le lecteur découvre un homme, à différents âges de sa vie, quels que soient les événements qui l'ont enthousiasmé ou blessé. La souffrance est l'envers inévitable d'une existence tendue vers l'avenir, confiante en son renouveau. C'est la force et le charme de ce livre d'être ainsi le lieu intense des recommencements, de la joie du corps, des expériences amoureuses, sexuelles également, mais empreintes profondément de la découverte des autres (à travers notamment la pratique de la moto), leur chair mais aussi leurs différences d'âme qui les rendent chacun si précieux.

La sexualité dont parle Benoît Lapouge n'est jamais complaisante. Elle est révélatrice de lui et des autres protagonistes rencontrés dans ce temps historique marqué par le sida.

Benoît Lapouge est un homme qui ne déguise pas le sens de ses réalités. Il est un homme qui vit dans des moments importants de l'Histoire des homosexuels, avec les batailles sur les droits, avec les luttes ou les rapprochements entre gays et lesbiennes, avec les déchirements liés à l'irruption du sida, etc.

Portrait d'un homme conscient de sa différence mais la vivant ou la subissant aux plans individuel et collectif. Un homme de chair qui choisit la vertu intellectuelle et la passion littéraire pour dire sa vie. Un homme intraitable avec les faux-semblants des certitudes. Un homme en colère qui ne désespère de rien. Un homme qui rêve toujours en un avenir meilleur.

La course au bonheur (histoire d'une vie, gay), Benoît Lapouge

« La course au bonheur » est un livre total dans la mesure où sa trame est en même temps, une mine de connaissances sur un homme, une époque – du début des années 70 à aujourd'hui –, et la formation d'une pensée personnelle.

Les nombreuses notes de bas de pages apportent un enrichissement et offrent de nouvelles pistes pour poursuivre les réflexions lancées dans cet essai.

Le texte est découpé en très courtes séquences : les temps forts dans la vie de l'auteur-narrateur alternent avec des respirations qui déploient sa mémoire qu'il reconnaît comme « un mécanisme fragile, évanescent ». Le rythme scandé de l'écriture, la non chronologie accentuent la force des moments qui l'ont meurtri comme le sida nommé « la maladie rouge ».

Pourtant, il y a toujours un fil sous-jacent qui exprime un espoir. Benoît Lapouge dit finalement sa quête profonde, commune à tous les hommes : comment atteindre l'autre et, à travers le plaisir, le retrouver, être avec lui dans la paix et le respect ? Les histoires de sexe, d'ardeur, de frénésie ne sont pas gratuites. Si le narrateur se jette parfois à corps perdu dans la sexualité, c'est sans doute parce qu'il est à la recherche de son âme.

L'objet livre est très beau. La photographie de couverture choisie est lumineuse et judicieuse. Corps tourné vers un passé jamais renié. Et, en même temps, tête et regard affirment le choix d'être tourné vers l'avenir. Cette photo de l'auteur en couverture montre combien le médecin consulté à l'adolescence n'avait rien perçu de la détermination du jeune Benoît : « Vous savez, vous vous engagez dans une vie malheureuse, douloureuse. »

Benoît Lapouge rappelle que le bonheur n'est pas un dû. Il faut aller le chercher dans les relations amoureuses, amicales, militantes ou de hasard. Il n'est jamais à trouver dans les manques. Le bonheur, ce n'est pas : « je serais heureux, si j'avais… ». L'auteur, tout au long de sa vie, a su composer avec les difficultés de chaque moment. Il a réussi à trouver, avec chacune de ses « batailles », de nouvelles directions qui lui ont permis de rester debout. C'est cela sa « course au bonheur ».

Bouleversant.

La Course au Bonheur : histoires d’une vie, gay de Benoît Lapouge, éditions L'Harmattan, février 2016, ISBN : 978-2343079257


Quatrième de couverture : 1967. J'ai tout juste quinze ans. Le mec, il traverse la rue, ni une ni deux il me saisit au col. Qu'est-ce que t'as à m'reluquer, espèce de pédé ! Baisse les yeux, tapiole ! Et un coup de boule, un, pour arranger les choses. Ça commence fort.

Heureusement le médecin trouve les mots. Vous savez, vous vous engagez dans une vie malheureuse, douloureuse. Merci Docteur pour le réconfort !

2015. Tant d'images me reviennent. De Medhi, le tapin de la rue Saint-Anne, à Jean-Luc, coeur battant de ma vie, emporté par le sida ; leur histoire et la mienne s'entrechoquent. Avec en fil rouge une histoire gay. Histoire d'une émancipation, et de mille batailles. Je reviens de loin.

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L
1967. J'ai tout juste quinze ans. Le mec, il traverse la rue, ni une ni deux il me saisit au col. Qu'est-ce que t'as à m'reluquer, espèce de pédé ! Et un coup de boule, un, pour arranger les choses. Ça commence fort.<br /> 2015. Tant d'images me reviennent. De Medhi, le tapin de la rue Saint-Anne, à Jean-Luc, cœur battant de ma vie, emporté par le sida ; leur histoire et la mienne s'entrechoquent. Avec en fil rouge une histoire gay. Histoire d'une émancipation, et de mille batailles. Je reviens de loin.<br /> « Je suis de ces générations qui ont fait émerger gays et lesbiennes comme personnages sociaux, non plus seulement confinés au champ clos des relations interpersonnelles qu’elles quelles soient, mais reconnus, enfin, politiques, réels, avec tout ce que cela a porté et portera encore d’innovations dans le champ social. » Et Benoît Lapouge, dans ce récit « de vie » nous raconte le parcours plus ou moins chaotique de sa Course au Bonheur.<br /> Comment peut-on écrire l’histoire d’une vie, heureuse ou malheureuse d’ailleurs, d’autant plus quand cette vie appartient à l’Histoire ! Oui, ne minimisons pas. Le texte, le travail de Benoît Lapouge c’est bien l’Histoire qu’il est en train de mettre en page et, surtout en notes ; à elles seules, elles en seraient la preuve s’il n’y avait le reste…<br /> « L’événement. Une déflagration, le crépitement d’une comète dans l’espace : le mouvement de la libération sexuelle. »<br /> Avant, les portes cochères, les parkings, les jardins… et puis, le Marais, les boîtes et les bars, « Je suis un pd cuir », les revues, Masques, Gai Pied, les copines lesbiennes, Suzette Triton, Michèle Causse ; le Morvan, l’amour, Jean-Luc Pinard, avec lequel il rédige en 1980, « L’Enfant et le Pédéraste » ; le collectif Inverses qui servira de tremplin à cette extraordinaire maison d’éditions que sera Persona… Et puis le sida, le lourd tribu mais la vie, la course.<br /> À lire et à dévorer comme la vie surtout quand le ciel s’assombrit…<br /> lalucarne.org, Martine Laroche, 7 avril 2016
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