Les amours du Nil, Juan Pineiro
Ce roman se présente comme une suite de notes, un carnet de voyage tout empreint de fantaisie, d'humour, d'aventure, de sensualité et d'étonnement.
Le héros raconte (mais peut-être invente-t-il) son parcours dans une Égypte qui va au-delà des étapes touristiques habituelles.
C'est à d'autres sujets que va l'intérêt du voyageur : les hommes, les bêtes, le petit peuple, et, les nombreux garçons qui traversent sa route et occupent ses nuits.
« Une fois arrivé au rocher, j'étais très ému, j'avais des frissons en pensant que cette rivière est à l'origine de toute vie dans cette partie du monde. Tandis que Jamal, tout nu, son corps noir d'adolescent-homme parfait, jais phosphorescent contre un ciel bleu indigo, un ciel en lapis-lazuli, me faisait faire des pirouettes, de la voltige, des acrobaties aériennes extravagantes auxquelles mon corps encore quelque peu étranger à ses desseins s'apprêtait déjà naturellement à répondre avec délice, attentif au moindre désir de ce fils du Nil. » (p. 63)
« L'amour tient une grande place dans mon existence. Un contact même fugitif, avec des gens qui sentent l'herbe, l'innocence, le soleil et le palmier, me rend infiniment plus heureux que la plupart des charmes de notre société que trop souvent j'ai en horreur… » (pp. 95-96)
Humour, jeu, sensibilité s'entrecroisent dans ce roman corrosif et libre :
La Reine d'Angleterre visite les états du golfe persique : « Partout où elle s'est rendue […] des foules enthousiastes, en délire » (p. 102). Elle termine son voyage par ce discours salué par la foule : « N'oubliez pas que je vous aime à la folie. J'espère que vous ne tomberez pas dans la même poubelle que les chrétiens au Moyen Age en devenant de hideux fanatiques – les dieux n'existent pas, seules les reines existent – autrement, je me verrai obligée de venir vous écraser un par un comme de sinistres cafards ! » (p. 103)
La chaleur est telle que l'esprit du voyageur-narrateur "bascule" ; son journal devient sa propre chronique royale : « Quel bonheur d'être une reine, surtout en étant une fourmi en même temps. Oui... une reine ! Si les gens savaient, ils voudraient tous être reines, et ce serait déjà un grand bonheur de le vouloir. » (p. 111).
Les notes sont parfois remplacées par des faits divers du monde ; suite de situations comiques et inattendues, comme la légalisation de l'activité des prostitués homosexuels dans une ville mexicaine (« Pour la première fois, l'activité de prostitués homosexuels a été légalisée […] à Tepic, dans le centre du pays, à la suite d'une décision du maire de taxer les hommes pratiquant le plus vieux métier du monde » p. 96) ou la reconnaissance des dangers du mariage (« Les mariages seront dorénavant surveillés, a décidé le ministère de l'Intérieur, les statistiques ayant révélé qu'en […] 1978, le nombre des convives atteints par des coups de feu tirés à cette occasion s'était élevé à 219 morts et à 914 blessés » pp. 112-113).
D'autres voyageurs "rencontrent" le narrateur, hors du temps où le réel devient imaginaire, dans des paysages sublimes et fantastiques.
Tout cela forme un texte lumineux et personnel, chargé de réminiscences livresques et filmiques : coupures de journaux, stars du cinéma argentin, impressions vives de l'actualité.
« Les Amours du Nil » est un livre qui dit simplement la richesse de vivre dans le désir. Le désir comme ultime talisman.
■ Les amours du Nil, Juan Pineiro (1945-1994), Editions Robert Laffont, 216 pages, 1981, ISBN : 2221006003
Quatrième de couverture : Voici un texte étonnant. Par son impudique pudeur, par son lyrisme retenu, par son humour, par la netteté lumineuse de son dessin et de son écriture. L'Egypte que parcourt le héros de Juan Pineiro, du Caire à Assouan et d'Assouan au Caire, ce n'est pas celle des temples et des pyramides. Celle-là, il ne la voit pas. N'existent à ses yeux et à tous ses sens que les villes, les paysages, les animaux et les êtres – ces garçons à qui l'unissent de brèves et fulgurantes amours. Et ses imaginations, et ses mirages...
Voici un texte troublant, et pourtant singulièrement pur. Tout au long de ce voyage, une lumière dorée nous accompagne, comme si vraiment nous étions près du Nil, au milieu du désert, sous un soleil aussi éblouissant que les soleils noirs des visionnaires, ou les lunes aveuglantes des amours essentielles.