Tous désirs confondus, Frédéric Mitterrand
Le projet de ce livre appartient aux vieux rêves de chacun, réagir, au plus secret de l'intimité, à des photos d'un autre temps, des images passées, imprégnées de mémoire, des photos anonymes dont les sujets ordinaires, lieux et êtres disparus, vivent d'une présence paradoxale : nous y reconnaissons nos souvenirs, nous y retrouvons nos rêves, nous les contemplons longuement pour atteindre notre enfance enfouie dans cette banalité, émouvante à force d'être banale.
Que peut-on dire d'autre que ce « moi » étouffé, vivace pour nous seuls, que cette mémoire douce parce que douloureuse, nos amours ou plutôt notre amour, l'unique, celui toujours frôlé, jamais atteint, celui du premier jour, et sans doute de la dernière nuit.
Du texte de Frédéric Mitterrand, le lecteur peut aussi s'écrier dès la première ligne : « C'est moi, oui c'est moi, j'écoute sa voix mais c'est mon ancienne plainte, mon ancien cri de joie, c'est le murmure obsédant de ma solitude qui s'écrit là, près de ces photos... »
« Cet enfant-là, que sa mère emporte, serré dans ses bras parmi les ombres des périls du monde, l'ai-je été un jour ? J'ai beau vouloir me souvenir, rien ne vient, si ce n'est le manque. Il y eut certainement quelque chose de ces images des autres dans notre histoire, quelque chose que je cherche à travers elles sans parvenir à le nommer... »
L'agence photographique Rapho (qui date de l'entre-deux-guerres) a permis à Frédéric Mitterrand de choisir une vingtaine de photos, simples, inaltérables. Ces photos, l'écrivain les dit pour nous : il raconte, il raconte la vérité, ce qui reste après le coucher du soleil, une minute, une seconde pendant laquelle le photographe a saisi l'éternel. Ici, pas de décalage de mode qui ferait sourire, pas de curiosité somme toute légitime pour un temps lointain ou inconnu, non, plutôt l'instant d'une rencontre miraculeuse entre un photographe et des êtres qui passent, sans s'arrêter, sans savoir peut-être que plus tard, ce moment privé de leur existence perpétuera la vie, contre leur mort, contre la destruction, contre l'oubli.
Des photos d'Edouard Boubat, des photos de Robert Doisneau, de Janine Niepce, de Willy Ronis, de Sabine Weiss et de tant d'autres.
Le texte de Frédéric Mitterrand est poésie : prendre aux choses, voler aux éclats fugaces de la vie, la vérité sensible qui exprime la grandeur de l'homme, cette même grandeur qui donne Mozart et Giotto, la survie d'une étrange tristesse qui répète tout bas que nous sommes habités par d'étranges démons qui nous obligent à implorer les divinités :
« Et puis cela encore, tenter d'avoir à l'horizon ce point de vue vertical, pour tout voir en face, en même temps ; pour tout prendre et ne rien laisser ; pour s'élever en restant les pieds sur le sol. Pour voir toutes les couleurs, tous les signes, et se dire qu'ils sont venus de l'homme, et qu'il n'appartient qu'à lui seul de les lire et de les comprendre. Et cela aussi, savoir parfois se retirer de tout ce qui nous tient, se défaire de tout ce à quoi on appartient. Oh, non pas pour devenir différent, puisque cela n'est guère possible et sans doute pas bien utile, non, juste assez pour voir un peu plus et un peu autrement... »
Frédéric Mitterrand dit – avec beaucoup de silences et une immense pudeur – son enfance, son adolescence... Ce sont sublimes aveux parce que notre enfance, notre adolescence ont vécu des mêmes exaltations et pleuré les mêmes douleurs, parce que nous avons eu cette conscience aiguë de l'autre et de l'amour, et cette violente attente.
Le texte est trop court. On le souhaiterait infini, lente conversation des mille et mille jours, fragment et univers comme ces photos « révolutionnaires » qui clament la vie toujours espérée dans une discrétion au bord des larmes.
■ Tous désirs confondus, Frédéric Mitterrand, Editions Actes Sud/Agence Rapho, 45 pages, 2009, ISBN : 978-2742786633
Du même auteur : Lettres d'amour en Somalie sur des photos de Diane Delehaye