Arrêt de jeu, Dan Kavanagh
« T'es une tapette, Duffy, et j'en suis une, et t'en es une, prenons un autre verre. » (p. 72)
A l'Alligator, le club préféré de Duffy, on remue parfois le couteau dans la plaie. Et l'intéressé peut affirmer qu'il aime aussi les femmes, surtout son amie Carol, son compagnon de bar ne lui laisse aucune échappatoire : « Rien d'extraordinaire à ça. La plupart des tapettes aiment bien les femmes. La plupart des femmes aiment bien les tapettes ! » (p. 73)
Viré de la police à la suite d'une affaire de mœurs, Duffy installe des systèmes de protection et fait parfois office de détective privé.
Dans « Arrêt de jeu », l'entraîneur de « l'Athlétique » l'appelle à l'aide car les incidents s'accumulent au point d'en devenir suspects : des hooligans saccagent les environs du stade et les deux meilleurs joueurs sont victimes, l'un d'un passage à tabac en règle et l'autre d'une fausse accusation de viol !
Dans ce roman, Duffy parcourt les titres de la presse populaire britannique sur l'irruption du sida et conclut qu'on meurt surtout de « manque de compassion » (p. 36) !
■ Arrêt de jeu de Dan Kavanagh, éditions du Seuil, Points Policiers, 225 pages, 1993, ISBN : 978-2020198578
Présentation de l'éditeur : Tout vaut mieux qu'une jambe cassée, surtout pour un footballeur. Danny Matson, vedette de l'Athlétique, voit soudain sa carrière arrêtée net dans un parking un soir où des inconnus l'agressent et lui brisent le tendon d'Achille. Feraient-ils partie de ces hooligans, de ces néo-nazis du mouvement rouge-blanc-bleu qui distribuent des tracts racistes dans le stade ou à la sortie des matches ? Et qui fait tomber Brendan Domingo dans les bras d'une blonde pour l'accuser ensuite de viol ? Melvyn Prosser, le président du Club, et Jimmy Lister, l'entraîneur, demandent à Duffy, ex-inspecteur de police, gardien de but des Volontaires et personnage central des romans de Kavanagh, de mener l'enquête. Duffy est un brin hypocondriaque, plutôt homosexuel et d'une maladresse légendaire, mais il démêlera à merveille les magouilles politico-financières qui rôdent autour de l'Athlétique.
EXTRAIT : « En se rendant à Ealing, Duffy se souvint brusquement de Don Binyon. Trapu, chauve, doté d'un sens de l'humour incisif, Binyon avait été un compagnon de bar à l'Alligator. Duffy ne s'était pas tapé Binyon – qui ne l'attirait pas vraiment – mais il appréciait sa compagnie. Son sens de l'humour, même un peu blessant. Binyon aimait dire aux gens leurs quatre vérités ; il était très habile à ce petit jeu. Un soir où Duffy s'apitoyait sur lui-même et se vengeait sur les petits verres plus qu'il ne l'aurait dû, il s'était épanché, cherchant même à se raconter d'une certaine façon. Il en était arrivé à Carol, aux accusations injustes, à ceux avec qui il avait couché. C'était une erreur de chercher à s'analyser soi-même ; non seulement une erreur mais un détonateur. Binyon était de ces types qui analysaient les autres. Binyon connaissait Duffy mieux que Duffy.
— Ce qui ne va pas chez toi, lui avait dit Binyon avec un soupçon d'impatience devant les divagations et les redites de son compagnon, ce qui ne va pas chez toi, c'est que t'es une tapette. Ne va pas me parler de ces bisexuels de merde. Je connais tout ça par cœur. Ce n'est qu'une façon de dire : Oh, mais non, je ne suis pas de ceux-là, pas vraiment comme ça. C'est une façon de reculer quand tu l'as déjà enfoncée jusqu'à la garde. T'es une tapette, Duffy, je t'ai vu faire ici assez souvent pour savoir qui tu es. T'es une tapette, Duffy, et j'en suis une, et t'en es une, prenons un autre verre.
Ils avaient pris un verre.
— Mais si je suis une tapette, avait dit Duffy qui commençait avec tous ces petits verres à sentir une tension dans la conversation, pourquoi est-ce que j'apprécie Carol plus que n'importe qui ?
— Rien d'extraordinaire à ça. La plupart des tapettes aiment bien les femmes. La plupart des femmes aiment bien les tapettes. Je suis sûr que c'est une fille charmante, qu'elle sait préparer à la perfection un potage en sachet. Ça n'a rien à voir. Et la preuve du pudding, comme on dit, c'est que t'as un problème de pelle à tarte avec elle.
— Mais ça c'est parce que... ça c'est à cause de ce truc qui est arrivé...
— Non, Duffy, le truc qui est arrivé a servi de révélateur. Ton problème de queue c'est le moyen dont ton corps dispose pour te dire que t'es une tapette.
— Mais j'ai été... j'ai été avec des filles depuis, fit Duffy qui se sentait timide tout à coup et de façon inexplicable.
— Combien, hein ? Combien ? (Binyon était presque ironique.)
— Bon pas autant de fois que... mais pour une raison évidente... je veux dire, étant donné que... Le cerveau de Duffy tournait à vide, au point mort.
Binyon lui tapota doucement l'épaule.
— T'en fais pas, Duffy, je vais même pas essayer de te convaincre. Mais tu me la fais pas et je vois pas pourquoi tu cherches à te persuader du contraire. Si t'es pas une tapette, alors je suis le roi des hétéros.
Cette conversation l'avait préoccupé. En fait la première personne avec qui il avait couché après ça, avait été une fille. Mais sans aucun doute, ça aussi Binyon aurait su l'expliquer. Etait-il tout bonnement homosexuel ? (Binyon, bien qu'homosexuel, préférait toujours employer le mot tapette comme s'il vous assenait une brutale vérité.) Dans un sens, que Binyon fut dans le vrai, Duffy n'en avait rien à faire. Il trouvait simplement déplaisant de se voir enrégimenté comme ça. » (pp. 72-74)
Du même auteur : La nuit est sale - Tout fout le camp !