Le secret de Grayson, Ami Polonsky
« Parfois il faut que tout s'écroule avant de se reconstruire comme il se doit. » (p. 327)
« Le secret de Grayson » c'est d'abord le drame initial de chacun d'entre nous, dès l'instant où nous sommes remis à la vie parce que nous tentons le sublime, retardant l'instant désastreux quand il faut admettre que la vie est ordinaire et que nous nous ressemblons tous alors que nous avions voulu être unique dans l'écho charnel et intellectuel d'un autre unique : celui qu'on souhaitait devenir.
« Le courage, c'est quand on a quelque chose d'important à faire, et qu'on a peur, mais qu'on le fait quand même. » (p. 319)
Grayson est encore un jeune enfant quand ses parents meurent dans un accident de voiture. Il est alors placé chez son oncle Evan, frère de son père qui a lui-même deux garçons. Grayson se retrouve l'enfant du milieu de la nouvelle fratrie.
Dans le roman, il vient d’entrer au collège. Son cousin aîné est dans la classe supérieure alors que l'autre est encore à l'école primaire. Jack, son aîné, ressent quelque chose qu'il n'aime pas chez Grayson. Il le traite de « petit pédé » tout en subodorant qu'il s'agit d'autre chose.
Les parents de Grayson ont toujours pressenti puis su avec certitude que leur garçon souhaitait être une fille. Ils ne l'ont jamais contré dans ce désir et se disaient qu'ils devaient faire avec. Ils ne voyaient aucune honte à ce que leur fils puisse vivre avec ce désir. Sans doute n'avaient-ils pas prévu ou voulu envisager ce que le jeune garçon allait vivre pendant cette année de sixième.
« Je sais, au fond de mon cœur, que Paul et moi faisons ce qu'il faut, mais l'année a été très difficile, depuis que Grayson va à l'école. J'ai l'impression que nous sommes jugés en permanence pour la manière dont nous le laissons s'habiller. C'est vrai, ce que tu m'as dit l'autre jour : Grayson est comme il est. S'il continue de soutenir qu'il est une fille, alors nous nous devons de le soutenir. Tout ce que je veux, c'est qu'il soit fidèle à lui-même. Enfin bref, merci de continuer à garder ça pour toi. Paul et moi tenons encore, tous les deux, à ce que Grayson ait la force de montrer au monde quelle personne il est – quelle que soit cette personne –, mais à sa manière et à son rythme. » (p. 146, extrait d'une lettre de la mère de Grayson adressée à sa propre mère)
Le lecteur devine, que dans sa prime enfance, Grayson était un garçon heureux et volubile. Chez son oncle et sa tante, Grayson perçoit que les ressentis ne sont pas si simples. L'inquiétude de sa tante le déstabilise. Il redoute que son vécu antérieur, léger et joyeux, se transforme en grisaille et en uniformité.
Les lecteurs de cet article voudront peut-être savoir si Grayson est une future transsexuelle. Le propos n'est pas là. C'est une mauvaise et vilaine question. Le roman se déroule sur une année scolaire de l'enfant. Une seule donnée est certaine : Grayson aime ce qu'il ressent en lui, ce désir d'être une fille. Il ne pense pas aux années à venir mais seulement au présent. Et il souhaite pouvoir vivre des expériences en tant que fille aux yeux de tous.
Grâce à son professeur de français qui accepte de lui donner pour la pièce de fin d'année, le rôle de Perséphone, on comprend que le but de l'auteure – Ami Polonsky – est de parler à ceux qui n'entendent pas des aspirations non conventionnelles : les Ryan, Tyler… et les adultes enferrés dans les normes sociales.
Ce roman est une splendeur de l'incantation qui coule et bondit comme mer au couchant : le lecteur de ce roman doit se noyer dans le soliloque de Grayson, contrepoint meurtri d'une souffrance jamais asséchée, qui représente la quête totale de soi, image nette née de nos propres troubles concernant le genre.
Rappelons-nous des mots de Roland Barthes : « … l'origine a appartenu, l'avenir appartiendra aux sujets en qui il y a du féminin. » (Fragments d'un discours amoureux, Seuil, 1977, p. 20)
■ Le secret de Grayson, Ami Polonsky, traduit de l'américain par Valérie Le Plouhinec, Editions Albin Michel Jeunesse, 333 pages, 31 août 2016, ISBN : 978-2226318916
Présentation : Dans son monde imaginaire, Grayson est une princesse. Il a de longs cheveux blonds et il porte une magnifique robe dorée. Dans la vraie vie, les cheveux longs et les robes chatoyantes, ce n'est pas pour les garçons. Grayson se cache dans des vêtements amples, évite les autres à tout prix et enfouit ses dessins au fond de ses tiroirs. Alors, Grayson fait semblant d'être ce que les autres voient, quitte à s'effacer complètement. Jusqu'au jour où il décide de postuler pour la pièce de théâtre de l'école et décroche le premier rôle : celui de la déesse grecque Perséphone. Son choix déclenche une véritable tempête autour de lui – au sein de l'école mais aussi de ses proches. Pourtant, malgré les rumeurs et les humiliations auxquelles il doit faire face, c'est aussi la première fois que Grayson ose être lui-même. Sa sincérité, son audace et son charme lui valent de nouvelles amitiés qui lui font entrevoir un avenir nouveau, où il pourra enfin s'affirmer en dehors des planches.