Giton, Christophe Donner
Eros qui ajuste ses flèches est un ado. Les adultes aiment se le représenter ainsi. Faut-il voir dans la légende une façon de vénérer un objet du désir souvent interdit ?
Christophe Donner, dans son récit, raconte un amour de hasard entre le narrateur, sculpteur célèbre à qui tout semble réussir et Giton, vingt ans : toute la grâce d'une enfance miraculeusement préservée et la désinvolture gouailleuse de ceux à qui leur physique tient lieu de passeport.
« La beauté est une des extrémités de mon existence, j'y replonge sans cesse, je me regarde, moi, mon enfance, je me repasse l'histoire comme un rite, comme l'entretien quotidien de ma peau, de mon cou de maman. Plus je regarde ce que j'ai perdu et plus la perte s'aggrave, et plus belle alors est ma vengeance sur son corps. »
Ayant pour thème l'adolescence, Giton en exalte l'importance décisive dans la mémoire de l'homme mûr.
« Giton » est donc une histoire d'adolescent et d'amour. Un amour de hasard rencontré au détour d'une pissotière, dans le très poétique contexte – vert et or – du jardin du Luxembourg. Le narrateur tombe éperdument amoureux de Giton, le jeune « faon », cruel reflet de lui-même. Le récit est tout entier la chronique de leurs tribulations au pays du tendre, et du naufrage final par quoi s'interrompt brusquement la fête.
D'où vient qu'à partir d'un thème éculé, le charme opère ? Sans doute en raison du ton, d'une vigueur de style, d'une élégance du cœur qui emportent l'adhésion.
« Sculpteur de miracles et de divinités », le narrateur, flanqué de son ravissant page, mène le lecteur de surprise en surprise, inventant la vie au gré de ses boulimies et de ses giboulées intérieures, passant du coq à l'âne et de l'ange à la bête avec une ravissante grâce. Au fil des instants saisis, se tisse l'odyssée d'une passion qui hésite entre la gravité et l'insoutenable légèreté d'un éros facétieux.
Mais derrière la danse de l'écriture c'est la gravité qui peu à peu l'emporte, une gravité qui détourne au plus aigu de la détresse.
Christophe Donner sait côtoyer le mauvais goût sans jamais y verser, arracher aux situations les plus sordides les éclairs d'une beauté d'autant plus angélique qu'elle a frôlé la boue.
L'écriture enchaîne, à une vitesse hallucinante, les séquences les unes aux autres dans l'allégresse et la fantaisie avec, soudain, ce coup de stylet à l'âme qui porte la marque des futurs précaires.
■ Giton, Christophe Donner, Editions du Seuil, 90 pages, 1990, ISBN : 978-2020116169
Du même auteur : Les sentiments - Les lettres de mon petit frère - Tu ne jureras pas - L'Europe mordue par un chien - Le chagrin du tigre - Trois minutes de soleil en plus - Bang ! Bang !