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Soleils brillants de la jeunesse, Denton Welch (1945) lu par Franck Delorieux

Publié le par Jean-Yves Alt

[…] l'histoire racontée dans ce roman ne se prête à un résumé qui pourrait tenir en haleine le lecteur. Pas de rebondissement. Pas de coup d'éclat. Pas d'intrigue. Il ne se passe rien, si ce n'est le temps qui va ramener au détesté internat un adolescent de quinze ans, Orvil Pym, en vacances avec son père et ses frères dans un luxueux hôtel anglais. On assiste à une sorte de fantasmagorie poétique qui ne vient pas, d'une manière par trop littéraire de forcer le réel, à se plier à une vision enchanteresse ou douloureuse. Cette fantasmagorie n'est autre que la plongée dans un cerveau de jeune garçon, dans sa manière de voir le monde les yeux encore mi-clos du sommeil de l'enfance et dans sa façon de poser des mots sur ces rêves éveillés que suscitent, à cet âge, l'ennui.

Orvil s'ennuie, s'ennuie et souffre. Orvil est seul. Son père est un grand bourgeois distant. Il le connaît à peine, le voit de loin, pour les vacances, sans tendresse, et les pièces de monnaie glissées dans la poche constituent le seul vrai dialogue. Les frères, deux jeunes hommes assez têtes à claques, sont tout juste bon à se moquer de ce « Microbe ». Ils sont suffisamment âgés pour ne plus comprendre ses actes, ses désirs et ses pensées.

Il ne se passe rien mais on est emporté par le style de Welch. Son écriture est précise, claire, harmonieuse, inventive. Son utilisation de la rhétorique est mesurée. Les métaphores, les comparaisons et autres figures de style jouent le rôle de rebondissement narratif ou plutôt elles se substituent à l'intrigue pour relancer la lecture.

Soleils brillants de la jeunesse, Denton Welch (1945) lu par Franck Delorieux

Welch ne se laisse pas déborder par la rhétorique comme on peut parfois le regretter chez certains auteurs trop sucrés. […] Orvil bat la campagne, fait du vélo, chine chez un antiquaire de menus objets anciens dont il est friand, se saoule avec du vin de messe volé dans la sacristie d'une église déserte, secrètement se maquille comme une femme, se flagelle avec une lanière de cuir, avale des médicaments au hasard, mange des gâteaux, passe quelques jours chez une amie, nage nu sous le soleil... Il trompe l'ennui. Il rêve son avenir. Il rêve de fuir, de fuir encore et toujours, loin de l'école, loin de ses souvenirs, loin de sa « difficulté d'être » qui lui rend le monde incompréhensible, loin de « cette amplification cauchemardesque des objets » qui le tentent.

Il rencontre un homme qui vit dans une cabane au bord de la Tamise avec des adolescents défavorisés de Londres à qui il permet de passer des vacances. Que représente pour Orvil cet homme un peu brut de décoffrage mais qui le prend en considération ? un ami ? un père ? un amant ?

Orvil ne sait rien du désir. Welch lui fait prendre des teintes indéterminées et ambiguës. On peut se persuader qu'il s'intéresse aux hommes, et une page plus loin il n'en est rien. On en vient à se demander si, au fond, Orvil n'est pas fait pour la virginité, Pour répéter ce vers de Mallarmé : « J'aime l'horreur d'être vierge... ». Quand il surprend son frère et une jeune femme faisant l'amour dans une folie du XVIIIe siècle dont il rêve de faire sa demeure, il est d'abord « étourdi par la douleur », puis « la luxure le submergea », mais aussitôt cette vision se mue en une image maternelle : la jeune femme donne le sein, il tête son lait.

Entre l'homme de la rivière et Orvil, s'est installé un jeu d'attirance et de répulsion dans lequel le sadomasochisme – celui du chat et de la souris tout comme celui des désirs frustrés – finit par donner au garçon la sensation d'exister. Il finira par lui avouer son terrible secret : la mort de sa mère.

La douleur est telle qu'elle lui donne ce sentiment de déréliction qui le pousse à s'enfermer dans son imaginaire, à se réfugier dans ses fumées. L'aveu surviendra dans une lutte. Orvil observait, caché, l'homme qui, le découvrant, le poursuivit. S'ensuivirent des coups et un peu de sang coula. Les mots prononcés, l'homme lui serra la main « jusqu'à lui faire mal. On ne scelle un pacte que dans la douleur ».

Orvil est soulagé, Presque heureux. « Tandis qu'il courait, il chantait et il était content : il ne saurait jamais le nom de l'homme, et l'homme ne saurait jamais le sien. [...] L'homme était une statue, une statue poreuse qui aurait absorbé un peu de sa tristesse. Un peu de l'horreur s'était infiltré dans les os de l'homme. L'idée de ne jamais le revoir lui procurait une sensation de grande liberté. »

Enfin, il y a le train qui le ramène à l'internat et, dès le wagon, la brutalité, la méchanceté, le sadisme des autres garçons. Les rêves d'Orvil s'arrêtent là : « Il était encore nécessaire d'adopter une conduite banale. Aussi Orvil fit-il des sourires à chacun, aussi épingla-t-il sur son visage le sourire du bien-être stéréotypé, l'accentuant même, tandis que le train s'ébranlait et vibrait sur les rails, sur le chemin du retour vers l'école. » Orvil apprend à être adulte : « l'automne, déjà » ?

Les Lettres françaises n°50, Franck Delorieux, 5 juillet 2008

■ Soleils brillants de la jeunesse (In Youth is pleasure, 1945), Denton Welch, traduction de Michel Bulteau, Editions Viviane Hamy, 1997, ISBN : 978-2878580907

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