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Face à un homme armé, Mauricio Wacquez

Publié le par Jean-Yves Alt

Voir plus loin, c'est traverser d'un regard affamé le temps : le présent et la mémoire inventée. « Face à un homme armé » est un exceptionnel et étonnant récit.

Juan de Warni, un adolescent retrouve en 1946 la propriété familiale du Périgord.

Dans le château, surgissent les personnages de 1848 et Juan (l'écrivain ?) les associe à ses délires oniriques.

« Face à un homme armé » est un roman érotique de la meilleure veine qui aborde de front l'obsession sexuelle d'un jeune garçon, ce qui donne d'admirables images troublantes, servies par une écriture somptueuse, riche, baroque (merci le traducteur).

« Mais la nudité d'Alexandre était presque parfaite. Sous ses vêtements sans apprêt se cachait un corps lisse et bronzé qui repoussait tout ce qui était superflu. L'un à côté de l'autre, nous différions grandement par la couleur de notre peau, mais non par la nature élancée des jeunes corps, minces et admirablement élastiques. Il n'avait pas honte, en revanche, de la seule chose qui fût vraiment différente entre nous : le balancement exaspérant de son sexe, gros et pesant comme du plomb entre ses jambes. Ce corps robuste lui descendait jusqu'au milieu des cuisses qu'il altérait de sa belle disproportion, seule zone insane au milieu de tant d'harmonie. » (pp. 183-184)

« Alors, tandis que Juan regardait le chien courir en flairant le terrain et en poursuivant des proies imaginaires, il sentit les mains d'Alexandre qui de cette position incommode essayaient de saisir son corps, choisissant peut-être cette position, qui rendait impossible tout affrontement face à face, pour palper le corps que le respect ou la crainte lui avaient interdit de toucher. Juan ne dit rien, laissant ces mains se dénoncer elles-mêmes en cherchant ce qu'elles désiraient, il permit même à l'une d'elles de le retourner et de se brûler contre son objectif. Attrapé par ce contact flagrant, Juan avait désormais la preuve d'un délit irréfutable, que son serviteur n'aurait pas l'audace de nier. Et donc, se laissant complètement tomber sur l'herbe et approchant par-derrière son visage de celui d'Alexandre, qui avait toujours les yeux fermés, il lui dit : Tu vois ? tu te rends compte ? Sens-tu le contact de tes mains ? Tes mains cherchent et je les sens, je sens ce qu'elles cherchent et veulent obtenir, je le sais parfaitement. Bien que ce qui importe, ce soit que tu le saches, toi. Et que tu le dises. Par exemple, je sais que tu m'espionnes, la nuit, n'est-ce pas ? Oui, dit Alexandre. Tu m'espionnes la nuit pour voir si tu peux obtenir ce que tu es en train de toucher de tes mains ; plein du désir d'être différent, continua Juan tout en sentant que les mains qui le cherchaient s'étaient arrêtées, mais sans cesser de le toucher, comme s'il s'agissait d'un délinquant subjugué par son propre crime, tu as cru qu'en cherchant ce que tu es en train de chercher tu deviendrais un autre être, en quelque sorte tu crois que tu deviendras comme moi si tu me dépouilles de quelque chose qui m'appartient, ce que tu veux, c'est me dépouiller de ce que j'ai, tu veux détruire le monde de mon père en me détruisant. » (pp. 185-186)

Face à un homme armé, Mauricio Wacquez

Juan aime les hommes, leur sexe : vision d'un valet, Alexandre, serviteur et maître de toutes les débauches, scène luxuriante et désespérée où le garçon possède sa mère alors que lui-même est sodomisé.

« Tu me désires et tu ne peux le nier. Dis-moi au moins que tu le sais, que tu me désires. Oui, dit Alexandre en fermant les yeux très fort. Chaque fois que tu m'espionnes lorsque je suis à ma fenêtre, dans la galerie ou dans la cour pavée, et que tu me montres la seule chose que tu aies à part ta stupidité, que tu exhibes une arme inutile contre moi, uniquement efficace avec les femmes, que cherches-tu ? Non, ne me le dis pas, c'est moi qui vais te le dire : n'est-ce pas que tu me cherches comme tu chercherais une femme, et que tu veux me faire ce que les hommes font aux femmes ? Oui, dit Alexandre. » (p. 187)

Le projet, pourtant, n'est pas d'exciter le lecteur. C'est un luxueux roman sur le temps, le désir et la quête sans issue d'un amour qui arracherait à la terre, à la mort.

■ Face à un homme armé, Mauricio Wacquez, traduit de l'espagnol par Jean-Marie Saint-Lu, Editions Presses de la Renaissance, 231 pages, 1986, ISBN : 978-2856163627


Du même auteur : Maintenant méprisez-moi


Quatrième de couverture : La prose étincelante du grand écrivain chilien Mauricio Wacquez ne doit rien au baroquisme d'un Garcia Marquez. Comme Borges, Sabato ou son compatriote José Donoso, il trouve davantage ses racines littéraires dans la culture européenne. Aussi provocateur et audacieux soit-il, Wacquez relève du classicisme dans le sens où, chez lui, le raffinement de la forme épouse la subtilité de la pensée.

Qui est Juan de Warni, son héros et narrateur ? Un traître, un assassin, un mercenaire, un sodomite... ? Ou plus simplement un jeune homme de bonne famille qui, à la fin de la dernière guerre, rentre au manoir ancestral de Périer en Périgord, prince déchu en proie aux assauts d'une imagination trop douloureuse ? Aux souvenirs de sa propre enfance se mêlent ceux de son père et de son grand-père. Couvrant plus d'un siècle, le récit se divise et se ramifie, ponctué de scènes de chasse et de guerre d'une force d'expression, d'une passion verbale peu communes.

Juan chasse en compagnie d'Alexandre, son jeune serviteur. Qui des deux est le maître ou l'esclave, le possesseur ou le possédé ? Tel est l'enjeu d'un combat « monstrueux » où, en définitive, le narrateur s'oppose d'abord à lui-même.

Recherche de soi, méditation sur la personnalité déchirée de l'homme moderne, « Face à un homme armé » est aussi une parodie de feuilleton romantique, une chronique stendhalienne, une sonate pathétique et intemporelle...

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