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Celle dont j’ai toujours rêvé, Meredith Russo (2017)

Publié le par Jean-Yves Alt

En 2005 paraissait « La face cachée de Luna » (1), un roman qui abordait la question de la transsexualité mais à travers le regard de la sœur du protagoniste.

12 ans après, paraît enfin un roman où le narrateur est un personnage transsexuel !

« Celle dont j’ai toujours rêvé » n'a rien à voir avec un journal intime, il faudrait écrire « un faux journal intime », une histoire à la première personne sur le mode du bavardage confidentiel. L'écriture fictionnelle choisie par Meredith Russo est totalement voulue et finement précisée dans la note de l'auteure en fin de volume :

« Merci de lire ce livre. Merci de vous y intéresser. Je suis nerveuse de savoir ce que vous penserez de ce livre, mais pas pour la raison que vous croyez. Bien sûr, j'ai peur que vous n'ayez pas aimé ce roman, mais plus encore, j'ai peur que l'histoire d'Amanda devienne votre référence, d'autant qu'elle est écrite par une femme trans. Cette idée me terrifie ! Je suis une conteuse, pas une éducatrice. J'ai pris des libertés. J'ai romancé les situations afin de les intégrer à l'histoire. » (p. 307)

Nul ne peut produire de représentation objective de lui-même. On s'appréhende toujours dans une « ligne de fiction » disait Lacan. Cette fiction est la seule vérité possible que le sujet puisse produire de lui-même.

Amanda Hardy vient de rejoindre son père qu'elle n'a pas vu depuis quelques années. Ses parents sont divorcés. Elle est très belle et est immédiatement remarquée par les élèves de son nouveau lycée. Mais un secret l'empêche de s'ouvrir aux autres : un secret que le lecteur découvre dès les premières pages : avant, elle s'appelait Andrew. Sa rencontre avec un lycéen, tout aussi mystérieux, Grant, va l'obliger à réfléchir sur le besoin de se révéler afin de pouvoir vivre ce qu'elle est pleinement.

Amanda, 20 ans, raconte tout au long de ce roman son parcours avant de devenir une fille à l'aide de nombreux retours en arrière, tout en disant ce qu'elle vit dans le présent chez son père, au lycée, etc. L'habileté de l'auteure est de ne pas tout dire du vécu d'Andrew-Amanda. Il reste de nombreux blancs que le lecteur peut combler avec sa propre sensibilité. Très peu de place est laissée à la transformation physique : juste le moment d'un entretien avec son psychiatre. Et c'est très bien ainsi. La description des opérations chirurgicales n'auraient rien apporté de plus. C'est une question de respect que l'auteure a envers son personnage.

— Qu'est-ce qui n'a pas de sens, Andrew ?

— Sur mon acte de naissance, il est écrit que je suis un garçon.

J'avais la poitrine compressée. Malgré ses plafonds hauts, la pièce me paraissait soudain étroite.

— J'ai un... je ressemble à un garçon. J'ai des chromosomes de garçon. Dieu ne fait pas d'erreur. Alors, je suis un garçon. D'un point de vue scientifique, logique, spirituel, je suis un garçon.

Il a joint le bout de ses doigts et s'est penché encore plus.

— On dirait que tu essaies de te convaincre.

— Je sais que j'aime les garçons.

J'ai levé les yeux vers le plafond et agité le pied nerveusement.

— Mais on n'a pas besoin d'être une fille pour ça.

Est-ce qu'il y a quelque chose qui te dérange, dans le fait d'être un garçon ?

— Les habits, ai-je répondu très vite. (pp. 38-39)

Celle dont j’ai toujours rêvé, Meredith Russo (2017)

La différence entre la transsexualité et l'homosexualité est très bien traitée :

« Si je n'étais que gay, ça irait. Mais je me sens mal en tant que garçon. J'aime quand je laisse mes, cheveux pousser et que les gens me prennent pour une fille. J'essaie d'imaginer quel type d'homme je deviendrai et rien ne vient. Même si c'est avec homme, me voir en tant que mari ou père me donne l'impression de disparaître dans un trou noir. Le seul avenir dans lequel j'existe, c'est celui où je suis une fille. » (pp. 39-40)

Ce roman permet de mettre subtilement en avant les émotions, les désirs, les craintes d'Amanda. Comment retrouver son père alors qu'elle sait que le divorce de ses parents est lié à sa « transformation » ? Comment aborder sa vie sentimentale en taisant son parcours ? Comment répondre au désir de Grant ? Comment tenir compte des conseils de son père concernant la transphobie des gens ?

— Écoute, Amanda, il faut qu'on parle de l'autre soir. […]

— Je savais que c'était loin d'être la vérité. J'avais promis à mon père que je venais ici pour étudier et finir le lycée, pour être en sécurité. Je ne sais pas à quoi je jouais avec Grant, mais ça ne rentrait pas dans ce plan.

— Ce n'est pas possible, a dit mon père. […] Tu étais toujours si timide […]. L'air grave, toujours dans les jupes de ta mère. Tu détestais tout ce qui était ne serait-ce qu'un peu dangereux.

— C'est toujours le cas.

— Alors pourquoi vas-tu à l'église avec des fondamentalistes ? a-t-il cinglé en me jetant un regard dur. […] Pourquoi passes-tu du temps seule avec des garçons, et pas seulement des garçons mais des athlètes […]

— Ici, les gens comme toi se font tuer. Par des gens comme lui.

— Grant n'est pas comme ça, ai-je dit d'une voix lointaine.

— C'est un adolescent, a rétorqué mon père en haussant à nouveau le ton. Ils sont tous comme ça ! (pp. 144-145)

« Celle dont j'ai toujours rêvé » en dit sans doute plus long, y compris dans les interstices du non-dit et de l'implicite, que le plus soigné et le plus sincère des récits rétrospectifs de soi.

Ce roman de Meredith Russo, progressiste dans sa représentation des canons familiaux et sociaux, est aussi plus complexe que les « faux journaux intimes » proposés encore aujourd'hui aux adolescentes. Il est donc certainement plus élitiste. Il s'adresse à des familles qui possèdent les codes culturels. En raison des capacités de lecture qu'il mobilise et de la vision qu'il transmet, il serait souhaitable qu'il puisse être prescrit ou lu à l'école où la place de la littérature jeunesse progresse.

■ Celle dont j’ai toujours rêvé de Meredith Russo, Éditions Pocket jeunesse, 310 pages, février 2017, ISBN : 978-2266270106, 17€90

(1) Ce roman de Julie Anne Peters a été réédité en 2016 sous le titre « Cette fille, c'était mon frère » (Editions Milan, ISBN : 978-2745978363)

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