Zero Patience, de John Greyson (1993)
En 1987, des gros titres ont fait leur apparition aux Etats-Unis, accusant un steward d'Air Canada d'avoir introduit le sida en Amérique du Nord. Alors qu'on savait que des cas de cette maladie existaient déjà dans les années 60 (sans qu'elle soit nommée). On peut faire l'hypothèse que la société avait besoin d'un bouc émissaire pour une maladie jugée immorale ; il est tellement plus simple et rassurant de rejeter la responsabilité sur quelqu'un.
Quand « Zero Patience » sort sur les écrans, le discours officiel sur le sida est encore mince. John Greyson a, quant à lui, dès la fin des années 80, participé activement à la lutte contre cette maladie, au Canada avec l'association AIDS.
John Greyson a choisi de faire de « Zero Patience » une comédie : une façon humoristique et élégante de lutter contre les préjugés.
Avec cette comédie musicale, il affirme que le public (en 1993) ne sait rien sur le sida et qu'il serait temps de l'admettre.
Faut-il voir « Zero Patience » comme un condensé de l'œuvre de Kenneth Anger : des ballets nautiques à faire pâmer de jalousie Esther Williams en personne, des virus qui chantent de l'intérieur des microscopes, un singe vert africain qui danse, des marins nus... ? Non, car ce film est d'abord une comédie musicale sur le sida qui se déroule avec une allégresse audacieuse et une parfaite maîtrise.
« Zero Patience » permet de prendre conscience que le sida ne concerne pas seulement le médical, mais pose des questions sur les représentations puisqu'il est associé aux images taboues du sang, de l'homosexualité et de la couleur de la peau. En ne se focalisant pas sur le réalisme, ce film offre une réflexion plus riche sur des questions complexes (les luttes collectives par rapport aux réactions individuelles de chacun ; le sida entrera-t-il dans l'Histoire comme la syphilis ou la peste ? par exemples) que pose cette maladie.
Ni polémique rébarbative, ni documentation dramatique dans ce film qui ne manque ni d'humour ni de réparties qui atteignent immédiatement leurs buts.
Il ne faudrait pourtant pas retenir de ce film une simple juxtaposition de moments musicaux excellemment cadencés car « Zero Patience » reste un film de critique corrosive des médias, des institutions, de l'homophobie. Il n'épargne pas non plus les militants gays dans leurs convictions parfois opposées. Cette comédie dénonce donc l'attitude criminelle des pouvoirs, sans tomber dans un pathos lénifiant ; le spectateur aurait presque envie de rire devant tant de vérité balancée.
Ce film, qui met la main sur le vécu de la communauté gay dans sa prise en charge de la maladie, rend hommage aux malades qui ont ferraillé contre les pouvoirs médicaux et médiatiques, afin de revendiquer leur droit à la dignité. En tenant un équilibre entre un défi esthétique et une analyse de la situation (telle qu'elle était en 1993), « Zero Patience » est un film intelligible et divertissant.
« Zero Patience » est un film rare où se combinent naturellement la délectation et le grave. Il faut remercier Didier Roth-Bettoni et les Editions ErosOnyx pour la parution de l'essai « Les années sida à l'écran » avec en supplément le DVD de ce film.