Un autre amour, Patrick Renaudot
« Je ne veux t'aimer que dans le renoncement. » (p. 12)
Marc dévoile son amour à son fils. Sujet tabou de ce roman ? Non. « Un autre amour » est l'histoire d'une vie, soudain regardée, juste avant de vieillir et de mourir.
Un homme, dans le plus secret de sa mémoire, retrouve sa jeunesse dans le temps même où il est foudroyé par un ultime amour, celui qui l'entraîne vers le fils de sa femme, Christophe, qu'il a élevé.
Ce roman dépasse amplement la thématique homosexuelle. Il atteint les interrogations de l'homme, quels que soient ses désirs.
La première partie, intitulée « Marc », du nom du narrateur décrit un itinéraire qui a plus prise sur la nostalgie de la jeunesse et de l'intimité masculine que sur l'homosexualité.
Les relations avec Daniel et Edouard, lors du service militaire en France d'abord, puis en Algérie, l'amour sexuel pour Olivier, homme à femmes, la connivence sensuelle avec Pierre Ferrandez, soldat pied noir, l'attachement douloureux à l'enfant Nadir, balisent les jeunes années de Marc. Cette parenthèse de la vie militaire autorise à Marc à vivre et revivre une atmosphère apaisante : celle des hommes entre eux.
« A la commanderie, Marc partageait sa chambre avec un jeune officier d'active, le lieutenant Olivier, qui attendait, lui aussi, son passage sur le Kairouan. Laid, de cette laideur des hommes à femmes dont la séduction réside dans l'attention forcenée qu'ils portent à l'autre sexe, en revanche il était bien fait et plutôt sympathique. Un soir, rentrant après lui, Marc se trompa intentionnellement de lit. La surprise amusée d'Olivier l'enhardit : « C'est qu'il me fait bander, le salaud ! » s'étonnait-il. Ce fut ainsi que le lieutenant Olivier s'arrangea pour qu'on leur attribuât la même cabine sur le Kairouan. » (p. 38)
« Marc déboutonne le pantalon d'Olivier, il sent le sexe de celui-ci durcir. Olivier s'appuie contre la porte, ferme les yeux. Marc s'agenouille. Olivier, tétanisé, halète, le saisit par les cheveux, le hisse jusqu'à son visage. Il étreint Marc, l'enserre entre ses bras, descend vers les reins, lui arrache sa chemise, le fait pivoter sur lui-même, le plaque contre lui. Marc se dégage d'un coup d'épaule et va s'affaler sur le lit. Olivier déshabille Marc, qui rit. Marc s'abandonne aux lèvres d'Olivier qui rampe sur lui, le fouille de la langue, lui écarte les cuisses du genou. Marc pousse un gémissement, se redresse brusquement, roule sous Olivier qui s'abat sur lui. Le sperme qui jaillit, épais et chaud, les colle l'un à l'autre.
— Démon, murmure Olivier.
Marc rit encore. Il recommence à caresser Olivier, il éponge sa sueur à petits coups de langue sur les épaules, sur la poitrine, sur les cuisses. Olivier se remet à bander, Marc se couche sur le côté, enfouit sa tête dans l'oreiller.
— Aime-moi, lui dit Marc. Il n'y a plus que toi au monde. Il n'y a plus que toi et moi. Ne t'en va pas.
Ne bouge plus. Reste en moi. Reste. Je n'aurais plus la force d'exister tout seul. Je ne veux pas que tu me quittes. J'aurais trop mal sans toi. Olivier met sa main sur la bouche de Marc, lui mord l'oreille, lui baise les aisselles, redescend jusqu'au sexe de Marc, l'emprisonne. Marc rêve qu'il n'est plus qu'un objet sans existence propre, un chiffon qu'Olivier va jeter après l'avoir froisse. La jouissance qui monte de nouveau le réveille et, tandis qu'elle éclate, un violent mal de tête prend possession de lui. Quand Olivier se retire, Marc frissonne et, à moitié évanoui, vomit à côté du lit. » (pp. 60-61)
Son mariage puis l'obsession grandissante envers son beau-fils Christophe ne sont, pour Marc, que détournement, puis abandon aux terres bénies de son adolescence et de sa première maturité qui sont restées ouvertes sur l'illusion du bonheur :
« Me voici, face à moi-même. Je me demande : pourquoi ? Quel est le sens de tout cela ? Pourquoi tant de mots alignés pour construire quelque chose comme un livre ? Pour prouver quoi ? Pour me bâtir à tes yeux une légende ? Pour m'imposer définitivement à ton esprit comme l'homme qui peut tout comprendre, parce qu'il a tout vécu ? Mais les mots ne racontent que de piètres histoires festonnées de descriptions, de sentiments, de situations. Le sens se cache ailleurs : dans l'inavouable, le non-dit. Si tu savais comme c'est peu de chose, une génération qui passe, une vie d'homme qui s'use... » (p. 140)
A l'entêtement de certains à vouloir que la jouissance soit suffisante à combler le vide de l'autre, Marc oppose des conceptions qui semblent démodées aujourd'hui : « Les passions inassouvies sont les seules durables » (p. 130), en écho à la citation de Michaux en exergue du chapitre I : « Je parle à qui je fus et qui je fus me parle. »
Comme dans les nouvelles de Bianciotti, « L'amour n'est pas aimé », il y a, chez Marc, cette compréhension de l'homme qui sait que tout se met en scène au centre de son être et que, néanmoins, c'est de « l'autre » que dépendent les instants de béatitude.
Le Marc de vingt ans a sauvé, par sa seule existence, un destin secrètement greffé sur l'immense besoin du compagnonnage des hommes. Si le corps de Marc a oublié le paradis des jeunes hommes, son âme ne l'a jamais quitté.
Au-delà du désir homosexuel, « Un autre amour » pose non seulement l'ambiguïté de l'amour paternel, mais aussi, plus cruellement, l'angoisse de ne retrouver que notre reflet.
« Le mérite des femmes, elles qui portent la vie, est de savoir parfois nous consoler de vivre. » (p. 24)
L'homme est-il condamner à ne vivre que dans l'errance ?
■ Un autre amour, Patrick Renaudot, Editions Acropole, 159 pages, 1985, ISBN : 978-2735700318
Quatrième de couverture : Il est des livres qui semblent nés d'une nécessité intime, d'un état d'urgence. Un autre amour est de ceux-là. Marc, le héros de cette singulière histoire d'amour, se réfugie dans cet autre, indéfiniment renouvelé, qui l'entraînera jusqu'au fond du djebel algérien, puis au cœur des ghettos du sexe, où il se cherchera à perte de vue. Au terme de sa quête, Marc trouvera, dans une paternité vécue avec passion, la justification de sa propre existence. Pour son premier roman, Patrick Renaudot brosse, sans provocation mais sans fausse pudeur, le tableau d'une éducation sentimentale à travers les soubresauts et les ruptures de ce siècle finissant.