Délit de fuite, Bernard Alliot
« Ça me déprimait, ça aussi, de penser que je devrais glisser mon baigneur dans sa chatte... Avec Pedro, au moins, c'était une affaire d'homme. »
Pauv' Riton, contraint, par les us et coutumes de la campagne, d'épouser cette sacrée goulue de Nadine, quand seul lui fait de l'effet le beau Pedro, son ouvrier agricole.
« Je savais que c'était Pedro, qu'il trouverait un truc pour me tirer du lit de Nadine. Je m'étais levé silencieusement et j'avais entrebâillé la porte. La lumière du palier éclairait le visage blafard de mon ex-amant. Il m'avait tendu une feuille du journal en essayant de voir par-dessus mon épaule. Je lui barrai le passage. Discrètement, il avait empoigné ma verge. Cela m'avait fait un autre effet qu'avec ma nunuche de femme et je triquai en regardant ses yeux trop brillants. »
Et voilà, en quatre, cinq pages, Bernard Alliot a concocté un embryon de roman. Poignant et criant de vérité.
Et l'auteur passe à un autre, ébauche tout aussi réussie, seulement soucieux d'autopsier par anticipation le corps gangrené de la France de l'an 2000.
Cet ambitieux parti pris de donner voix au chapitre à vingt-sept personnages différents de sept à soixante-dix-sept ans, d'horizons et de points de vue divers, pour leur confier la narration de l'histoire, fait certes penser, par les facéties stylistiques, au Raymond Queneau des « Exercices de style ».
Le sombre univers futuriste où se déroulent les péripéties de cette course poursuite entre deux jeunes révolutionnaires malgré eux et une meute d'exterminateurs plus ou moins miliciens évoque, directement, le « 1984 » de George Orwell et son climat de cauchemar totalitaire.
Chômage, sous-prolétarisation des classes moyennes, abêtissement systématique des masses, atmosphère insurrectionnelle permanente sur fond d'affrontements écolos/extrême droite... Le tableau que l'auteur brosse du futur n'est guère réjouissant ; mais au total, c'est là de la science-fiction convaincante.
■ Délit de fuite, Bernard Alliot, Editions Fleuve Noir, 221 pages, 1996, ISBN : 978-2265059726
Présentation : Quand un veilleur de nuit couvert de cicatrices tue son employeur pour la bonne cause et qu'une assistante sociale refuse de se faire violer par les milices antiparasites sociaux, il n'y a aucune raison pour qu'un grand bourgeois ne se joigne pas à eux dans une France en proie à d'inquiétantes jacqueries urbaines. Pris entre langues de bois et barres de fer, Jo, Anna et Rotfailair vont donc se rendre coupables du dernier délit : la fuite. Mutineries, sabotages, émeutes, désinformation, lynchages : dans un tel climat social, on voit mal comment le désir n'aurait pas son mot à dire.