Fredi à l'école – Le roman d'un inverti, Max des Vignons (extrait)
« Il n'entendit point le feuillage s'agiter près de lui et, soudain, Arcine émergea au milieu des branches. Il eut néanmoins le temps de se cacher et lorsque le grand vint s'asseoir auprès de lui, tout était rentré dans l'ordre. Un lambeau de phrase lui revint en mémoire.
— Il a donné toute satisfaction à ses parents.
Il envia ce jeune homme élégant et doux que l'on prisait d'une façon aussi générale, tandis que lui-même n'avait point eu le prix de version latine. Julien Arcine avait de la douceur, en effet, une certaine timidité qui l'avait tenu éloigné du commerce des femmes publiques. Les quelques jours qu'il passait au village restaient ses seules joies ; il menait l'existence terne de petit employé de province, au maigre pécule et dénué d'espérances. Il se voyait attiré par Fredi, parce que celui-ci semblait prisonnier de la même habitude que lui.
Ils restèrent un instant l'un près de l'autre, n'échangeant que des phrases brèves. Une gêne les séparait et ils n'osaient se regarder. Mais Julien posa son bras sur l'épaule de Fredi et celui-ci sentit glisser, en lui, un plaisir indéfinissable. Ses yeux se tournèrent vers le grand, mais ils se rabaissèrent aussitôt, comme si le garçonnet eût craint de laisser deviner la pensée qui lui traversait l'esprit. Ils demeurèrent ainsi, très rapprochés, parlant peu, mais éprouvant à ce contact imprécis de leurs épaules, un contentement profond et quiet. Puis ils se levèrent pour faire quelques pas et, instinctivement, Fredi se suspendit au cou du grand. Ils revinrent vers le village, mais en passant par le chemin des écoliers, se perdant au milieu des champs que le soleil nuançait de teintes cuivrées. Ils parlaient peu, jouissant plutôt de ce demi-silence qui les enveloppait comme une volupté perverse. Quand ils atteignirent les abords du hameau, le crépuscule étendait sur les êtres et les choses un voile translucide et gris.
Illustration de Gaston Smit, également connu sous les pseudonymes de Georges Topfer et James Barclay
Ils s'arrêtèrent d'un commun mouvement, leurs regards se croisèrent et un embarras les paralysa. Julien, ne sachant que dire, se pencha et Fredi haussa la tête. Ils s'embrassèrent machinalement comme si cela eût été une chose naturelle, entendue entre eux au préalable. Fredi se sauva en courant ; il avait du bonheur plein le cœur et ne savait pourquoi. Sa tante le félicita :
— Tu t'es promené avec le fils Arcine, t'as bien fait, il ne te donnera jamais que de bons conseils. »
in Fredi à l'école – Le roman d'un inverti, Max des Vignons, réédition GKC, 2018, ISBN : 9782908050943, page 53