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A quand un plan contre la pauvreté sentimentale ? par Marcela Iacub

Publié le par Jean-Yves Alt

Les chiens abandonnés ont bien la SPA, pourquoi n’existe-t-il pas un service personnalisé pour les humains esseulés ? Leur désespoir coûte souvent très cher à la société.

La misère, hélas, n’est pas seulement économique. Il y a tant d’autres formes de ce fléau que l’on s’étonne que le gouvernement n’ait soufflé le moindre mot à l’occasion de l’annonce de son plan de lutte contre la pauvreté des Français. Il en est ainsi de la misère sentimentale, du désespoir qu’éprouvent des milliers, des millions de Français chaque année, quand ils se font quitter par leurs partenaires. Ces malheureux et ces malheureuses qui après avoir goûté à l’opulence amoureuse, aux luxes d’une compagnie parfaite, se retrouvent soudain lâchés sur une route déserte comme les chiens à l’approche des vacances d’été. Ceux et celles qui, à l’instar des misérables toutous, étaient persuadés que leur bonheur n’était pas précaire mais qu’il était là pour la vie entière. Or notre société est moins cruelle envers les chiens qu’envers les amoureux abandonnés. Pour les premiers, elle organise des campagnes d’affiche à l’approche de l’été, elle met en place des refuges dans lesquels nos amis à quatre pattes peuvent trouver des nouveaux maîtres.

Aux seconds, elle conseille d’accepter leur sort sans rechigner, de faire le deuil de leur bonheur passé, de se chercher un nouveau partenaire comme si les amours étaient remplaçables comme des chaussettes trouées. Pire : ceux et celles qui n’acceptent pas leur sort cruel sont méprisés et incompris. Et comme personne ne prend leur désespoir au sérieux, beaucoup de ces victimes de l’amour deviennent agressives, voire meurtrières, alors que, leur vie durant, elles n’ont fait preuve d’aucun comportement antisocial. Une société comme la nôtre qui s’enorgueillit d’avoir banalisé les divorces, au point qu’un couple sur deux se sépare, ne peut pas se désintéresser ainsi du sort des délaissés.

Bien évidemment, ce n’est pas à la personne qui quitte d’assumer les conséquences catastrophiques de sa liberté comme c’est le cas aujourd’hui. Il est absolument inacceptable que ces femmes et ces hommes soient harcelés, agressés, voire assassinés par ceux et celles qu’ils ont quittés. Par ceux et par celles que la crainte d’une sanction pénale n’arrêtera pas car ils ne conçoivent même pas la vie sans leur ancien partenaire.

Alors, que faire ?

Comme il est prévu pour d’autres victimes de catastrophes personnelles ou collectives, il faudrait créer des aides personnalisées pour que ces esseulés retrouvent une vie normale, voire un amour nouveau. Ainsi pourrait-on imaginer un service public de consolateurs et de consolatrices qui accompagneront et qui câlineront les personnes abandonnées. Un service dont le but serait de permettre à ces accidentés du cœur de penser que l’amour perdu pourrait être remplacé par un autre plus intense. Les bonheurs et les douceurs que ces assistants prodigueraient aux malheureux seraient si délicieux que certains iraient jusqu’à simuler le chagrin afin d’en profiter. Mais peu importe au fond ces petits abus si ce nouveau service évite des centaines de meurtres et de suicides, des milliers d’actes de harcèlement et de violence, sans compter les licenciements consécutifs aux dépressions qui accompagnent si souvent les abandons. Le nouveau dispositif devrait se doubler d’une formation avec des cours d’éducation sexuelle donnés dans les écoles sur l’éthique des séparations. On y apprendrait à quitter et à être quitté.

Il en va de l’amour comme de l’économie : une société ne peut pas aspirer au libéralisme sans prévoir des garde-fous susceptibles de garantir la paix sociale, la vie, la santé et la dignité des citoyens. Peut-être Emmanuel Macron regagnera-t-il la sympathie des Français s’il crée un service public d’accompagnateurs de personnes abandonnées. S’il leur montre que, loin de les ignorer, il est prêt à consacrer des millions pour en finir avec la misère des cœurs brisés.

Libération, Marcela Iacub, 5 octobre 2018

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