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Instants dérobés, Roger Vrigny

Publié le par Jean-Yves Alt

Où est la vie ? À cette lancinante interrogation qui hante les écrits intimes, Roger Vrigny répond avec ferveur et sincérité.

Roger Vrigny publie ici des pages de son journal, choisies dans ceux qu'il a tenus de 1972 à 1991. Texte autobiographique, subtilement élaboré et d'une puissante limpidité, « Instants dérobés » doit sa force rassurante à l'authenticité des émotions et à la discrétion de leur évocation. Une sagesse humble et lucide.

Un soir, sur la route de Wiry (où Roger Vrigny retrouve régulièrement le silence fertile de sa maison), il s'arrête dans un café. Autour de lui, des êtres las se claquemurent dans leur solitude. « Que font ces gens ? A quoi pensent-ils ? Rêvent-ils ? Où est la vie ? »

Ces questions sont le leitmotiv de son journal qui n'assène pas sa vérité mais relate, avec franchise, l'expérience de vivre et de créer et ces alertes du quotidien, si chères aux romanciers qui savent que les grands et petits événements s'insinuent avec entêtement dans leur œuvre.

Ni escamotée ni truquée, la vie privée traverse « Instants dérobés » sans s'exhiber. Cet équilibre généreux ente vérité et courtoisie montre un homme net et vibrant, violent parfois quand la bêtise ou l'injustice le blessent. On devine un Roger Vrigny aussi direct et sobre dans son journal qu'il avait pu l'être dans la vie.

Le temps n'a pas mutilé le bouillonnement juvénile, mais l'usage et le respect des autres l'ont transformé en une généreuse souplesse de l'âme.

Instants dérobés, Roger Vrigny

Les quelques lignes sur le mariage de son fils adoptif et les pages sur son voyage à New York avec Anthony, son petit-fils, sont d'une très grande beauté. Regardez comme il est simple d'aimer, semble dire Roger Vrigny. L'amour, l'affection, l'amitié, la tendresse, le désir lui-même sont en filigrane dans l'écoulement heureux du temps. Le plaisir, l'aventure et la fidélité sont bercés par la même lumière.

L'écrivain visite l'URSS en 1988. Il ne se soumet pas aux discours en vogue, de même lorsqu'il voyage en Inde. Il stigmatise le langage prétentieux et creux de certains intellectuels, raconte avec humour et respect la « grimpette » de la roche de Solutré où il est convié en 1983 par le beau-frère du Président Mitterrand. Il campe un portrait de Marguerite Yourcenar admiratif et ironique : « Un bloc de soie noire, de châle et de fichu, agrémenté de bracelets, de colliers et de pendentifs, d'où ressortent un visage empâté, deux beaux yeux noirs, une bouche à demi ouverte en forme de losange. Elle use de sa voix comme d'un instrument de musique. »

Vrigny est rafraîchissant, pur j'aimerais dire si l'adjectif n'était pas disqualifié. Il n'a cure de la concurrence et des jeux de pouvoir. Avant tout : écrire. Il y a de très beaux passages sur la naissance d'un roman. Il s'épanouit sans craindre les autres, s'insurge, condamne parfois, mais ne compare pas : « Mais comparer quoi ? Une façon d'être, de vivre ? D'être heureux ou malheureux ? Le bonheur ne se mesure pas avec une calculette. »

■ Instants dérobés, Roger Vrigny, Éditions Gallimard, 152 pages, 1996, ISBN : 9782070744671


Du même auteur : Le garçon d'orage - Accident de parcours - Les cœurs sensibles - Le bonhomme d'Ampère

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