Madame Arnoul, Jean-Noël Pancrazi
Le « principe » (si tant est qu'en littérature il puisse y avoir des principes !) de la collection « Enfance » est de confier à un « auteur reconnu » l'écriture d'un petit livre sur un souvenir d'enfance. Il est bien entendu que le lecteur n'aura pas à déceler la réalité de la fiction, le romancier lui-même reconstruisant la mémoire à l'aune de l'expérience adulte. C'est une banalité de dire que les chocs de l'enfance déterminent une vie.
« Madame Arnoul », le récit de Jean-Noël Pancrazi en est la plus pertinente illustration et, sous cet angle, il est avec « La Micheline » de Patrick Drevet le fleuron d'un prestigieux catalogue.
L'histoire est linéaire, dramatique et secrète. Un adolescent (le narrateur) perçoit à travers les paniques et les entêtements des adultes (leurs injustices et leurs égarements aussi) les prémices, l'explosion et les cicatrices des « événements d'Algérie ». Avant l'exode vers la métropole, ce sont encore les fêtes assombries, les lambeaux d'un ancien bonheur, les rites acquis des habitants d'un quartier d'une petite ville des Aurès : Batna.
Jean-Noël Pancrazi est un subtil maître du « roman des adieux ». Madame Arnoul en est la forme exacerbée. C'est l'histoire d'un enfant qui apprend la solitude, le déchirement, l'exil et « sa » différence, celle définitive qui le rangera à jamais du côté des exclus, des étrangers, des renégats, de toutes celles et tous ceux qui traversent la vie écorchés parce qu'ils n'ont jamais voulu y prendre prise.
Madame Arnoul, alsacienne transplantée en Algérie (son accent est déjà un fossé sans pont-levis), ne suivra pas la même route. Égarée mais juste, elle est du côté des Algériens. L'enfant l'aime. Peu à peu, se cimente un couple étrange. Il est le seul à ne pas la renier lorsqu'elle fraternise visiblement avec les musulmans.
Jean-Noël Pancrazi n'a jamais été aussi pudique que dans ce récit autobiographique. Il abandonne à la sagacité du lecteur la part cachée qui est le point d'ancrage des souvenirs de jeunesse.
Madame Arnoul permet au romancier d'évincer la mère. La première révolution d'un timide qui sait déjà qu'à l'instar de tous les apatrides, il trouvera son ciel dans la pénombre.
■ Madame Arnoul, Jean-Noël Pancrazi, Éditions Gallimard/Haute Enfance, 1995, 144 pages, ISBN : 9782070740468 (existe aussi en format poche Gallimard/Folio)
Du même auteur : La mémoire brûlée - Les quartiers d'hiver - L'heure des adieux