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Violette Leduc, éloge de la bâtarde, René de Ceccatty

Publié le par Jean-Yves Alt

René de Ceccatty empêche l'oubli d'ensevelir la mémoire de la « bâtarde », dessille nos yeux et débouche nos oreilles : le superbe vacarme de l'œuvre de Violette Leduc déferle dans cet essai – intolérable pour certains – mais si visionnaire et universel dans l'exploration autobiographique et la recherche de la vérité.

Ceccatty fait encore plus : humble, il se coule dans l'existence de son idole, âme sœur, corps frère, saisissant par l'imaginaire – qui seul devine et recrée – l'unité fondamentale d'une femme exceptionnelle mais inadaptée, heureusement arrachée au silence par Simone de Beauvoir qui l'imposa aux éditeurs.

Ceccatty comprend pourquoi cette femme s'est haïe, comment elle a aimé les femmes (certaines dans l'exigence du plaisir, d'autres comme Simone de Beauvoir dans l'exaltation et la frustration nécessaires à l'élaboration de l'œuvre, d'autres enfin dans la paix d'une tendresse partagée), par quel cheminement tortueux elle a désiré faire l'amour avec des homosexuels irréductibles (dont Genet) vis-à-vis desquels elle aurait voulu être homme désirant des hommes – aveu féminin quasi tabou qui éclaire d'une lumière crue mais efficace la complexité des passions amoureuses et les mascarades de la chair –, plus loin encore se complaisant (et c'est là que la fiction sert d'exutoire) à évoquer le cadavre d'un bel indifférent abandonné à sa convoitise prédatrice. Elle ose écrire qu'elle imposait d'être sodomisée par de jeunes et beaux partenaires par refus de transmettre la vie, angoisse de n'être pas aimée mais aussi pour d'autres raisons enfouies dans les remous de la quête délirante d'une identité impossible.

Violette Leduc, éloge de la bâtarde, René de Ceccatty

Livre de passion, « Éloge de la bâtarde » est aussi un essai insolite et neuf sur la création littéraire. Comme Proust, Ceccatty pense que l'intelligence seule ne suffit pas à capter toute la prodigalité de l'art. Par intuition, mais surtout par analogie avec sa propre vie d'homme et d'écrivain, il pénètre avec audace dans une œuvre portée par une écriture métaphorique aux raccourcis éblouissants, évidente comme la poésie mais, plus qu'elle, engagée et forcenée jusqu'à réveiller l'indicible. Il découvre les strates profondes d'une vie que seule la littérature pouvait sauver, une vie originellement blessée, soudain revivifiée par la fiction qui ouvre un champ bien plus vaste à la compréhension de l'autre : « Il ne s'agit pas ici, écrit René de Ceccatty, d'une simple érotisation de la littérature, mais d'une véritable sexualisation de la perception, d'une sexualisation du monde. Le monde écrit est un monde sexualisé. »

René de Ceccatty sauve – si besoin était – Violette Leduc et ses livres de l'indifférence.

■ Violette Leduc, éloge de la bâtarde, René de Ceccatty, Éditions Stock, 305 pages, 2013, ISBN : 9782234075627


Du même auteur : Une fin - L'extrémité du monde - L'or et la poussière - Esther - L'étoile rubis - La princesse qui aimait les chenilles - Babel des mers

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