Oraison, Robert Vigneau (Poésie)
Dans ce nouveau recueil de poèmes de Robert Vigneau, tout y est humour (avec le tragique qui se cache derrière) : l'auteur regarde le passé, le présent et l'avenir sous la forme d'(de ses) introspections badines, de (ses) divertissements, d'études de (ses) mœurs, de (ses) batifolages succulents, avec pour toile de fond l' (son) intime.
S'il est question de sexualité en oubliant toute pudeur (empruntant parfois à l'érotisme le plus cru), elle n'est pas réservée aux corps jeunes. Tous les âges y ont leur place. L'auteur n'hésite pas à regarder les différentes étapes de la (sa) vie.
« Mon cœur, Je n'y crois pas, Docteur / Il n'est pas sage. / Sans cesse il rebondit / et sans faiblir il attend l'âme sœur / jusqu'au bout – et même au-delà / du dernier souffle avant l'équarrisseur / s'il trouve la / belle inconnue riant à mes poèmes / et déjà tremblotant, / d'outre-tombe pourtant / que mon chant dise que je l'aime. »
Comment notre « intérieur intime » est-il ? Comment dire les interrogations, les outrances, les hypocrisies, la réalité des corps, la débauche qui n'empêchent nullement à chacun de se fabriquer une place au soleil, certes plus ou moins, belle, désirée… ?
La mère, le père, les enfants… tous les membres d'une famille font commerce de leurs charmes de façon très éclectique... qu'il est parfois bien difficile de se représenter... surtout la sexualité de ses propres parents.
« Chair de mon corps où seul j'habite / emprisonné dans mon seul moi / depuis le maternel émoi / reçu de paternelle bite, […] jamais ce corps où je vivrai / sinon par mort ne quitterai : / je dis mon corps mais n'en suis guère / que l'aléatoire habitant / décati au gré de ce temps / qu'il m'aura accordé sur terre. » (p.43)
« Comment fus-je produit ? / Gesticulaient des queues de spermatozoïdes presto dans un vagin sillonné de bolides / dont le vainqueur devint cet humain que je suis. » (p. 44)
« Le hasard d'une nuit unit mes géniteurs. / Mon existence entière eut semblable moteur : / je suis le résultat d'un cumul d'occasions. » (p. 44)
Ni fier d'être « Né mâle, né Français, donc en riche héritage » (p. 51), le poète – propriétaire d'une maison d'illusions – honore le « hasard » de lui avoir « offert des jobs faits de voyages » (p. 51)
« Chacun de ces exils fut pour moi une fête. / Merci aux étrangers qui m'ont fait mériter / en familier leur complément d'humanité ! » (p. 51)
Vous pouvez juger, d'après ces quelques citations, combien savoureuse est cette œuvre poétique, que je considère comme quasi-imbattable dans le domaine du drame humain traité par le biais de l'humour.
La verve de l'auteur s'exerce aussi bien dans le cadre de l'hétérosexualité que dans celui de l'homosexualité ; c'est un cocktail étourdissant.
« Maman, tu m'écartas. Tu avais deviné / qu'un monstre masculin recelant une fille / ouvrait d'obscurs dangers à toute la famille. / Mais pourquoi m'envoyer, maman, emprisonné / sans caresse, si loin, ignorant, condamné […] J'aurais aimé t'aimer. Comment te pardonner ? / Je comprends aujourd'hui. Refoulé, tel on nomme / l'aveuglé repoussant ses instincts de Sodome / – maudits, donc : interdits / mais toi seule l'as su. / Tu n'en parlas jamais. Par quels mots sans trahir / me blâmer de pulsions que tu n'osais pas dire ? / Merci de ton amour qui s'en est aperçu. » (p. 46)
Ce recueil est composé en deux parties. La première s'intitule « Soir », la seconde « Oraison ». Chacune parle du même homme (le « passant » de ce recueil) et de nombreuses compositions de la première partie trouvent des correspondances dans la seconde, moins grinçantes mais tout autant bouleversantes.
Et comme on ne peut souvent, en même temps, que pleurer et rire, la morale ne saurait s'en effaroucher et nul ne peut s'aviser de déplorer que la sexualité apparaisse ici sous des aspects très osés.
Félicitations donc sans réserve à Robert Vigneau. Puisque, auteur plein de finesse :
« Castigat ridendo mores. » (Elle corrige les mœurs en riant.)
« J'ai vécu librement en mon indépendance / les plaisirs de mon corps selon ma convenance. » (p. 72)
■ Oraison, Robert Vigneau, Éditions La Timbale, 87 pages, mai 2019, ISBN : 978295001445, 7€
Du même auteur : Une vendange d'innocents – Eros au potager (encres sur papier) – Planches d'anatomie – Ritournelles – Fariboles à l'école