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Un jugement du Yi King sur l'homophilie

Publié le par Jean-Yves Alt

Le Yi King (ou encore I Tching) est un livre « sacré » qui appartient au patrimoine culturel de la Chine. Occupant une place centrale parmi les livres « canoniques », sorte de bible à l'usage de nos frères de race jaune il est avant tout connu en Occident comme oracle, bien qu'il soit aussi un livre de Sagesse. Bestseller aux États-Unis, objet de multiples éditions sous forme de « pocket-book », sa carrière dans les pays de langue française en est à ses débuts. Ce livre passe pour donner des réponses intelligentes aux questions qu'on lui pose, à la différence du Tarot il répond non pas à l'aide d'images mais par des textes qu'il faut interpréter. Après que la question a été posée on procède à un tirage grâce à des baguettes ou des pièces. La réponse est donnée à travers le texte qui accompagne les figures (ou hexagrammes) obtenues (le plus souvent deux).

L'expérience vise à connaître l'opinion du Yi King sur le problème très général de l'homosexualité. Programmé selon l'esprit propre à la philosophie taoïste on peut a priori considérer la réponse comme un reflet de l'attitude propre à la pensée chinoise.

La question ayant pour cadre une consultation réelle, fut posée de façon suffisamment impersonnelle pour que la réponse présente un intérêt général. En voici les termes exacts :

« Que faut-il penser du problème de l'homophilie ? »

C'est un homme ordinaire qui à cause de sa perplexité sollicite le jugement de l'oracle.

La réponse a été donnée par deux figures : « L'ÉBRANLEMENT (n° 51) suivie de « L'ÉPOUSÉE » (n° 54). Il nous faut nous reporter au texte historique dû au Roi Wen (1 000 ans av. J.-C.) qui contient la réponse :

« L'ébranlement apporte le succès

L'ébranlement survient : oh ! oh

Paroles rieuses : ha ! ha !

L'ébranlement sème l'effroi sur une distance de cent milles

Il ne laisse pas tomber la cuillère et la coupe rituelle. »

J'ai « séché » un moment sur ce texte sibyllin. En voici la restitution en langage clair : L'homophilie, sa révélation cause un choc (l'ébranlement). La réaction est d'abord celle de l'étonnement, puis vient le rire (pensez aux chansonniers) mais tout cela recouvre mal l'effroi, la peur, plus simplement le malaise. « Ne pas laisser tomber la cuillère et la coupe rituelle » signifie qu'il ne faut pas être choqué au point d'en perdre le boire et le manger, la « coupe et la cuillère rituelle » représente deux objets sexués (le phallus et le vagin). Traduction il ne faut pas perdre l'usage des vases ordinaires (rituel habituel) par « contagion » ou imitation.

L'interprétation de la seconde figure est plus délicate :

« L'épousée

Des entreprises apportent l'infortune

Rien qui soit avantageux

L'homme noble connaît les choses passagères à la lumière de l'éternité sans fin. »

A priori ce jugement paraît négatif. Ce n'est qu'apparence si nous interprétons selon l'esprit. Pour éviter de longs développements je m'en tiendrai à dire la solution sans la justifier par la citation des différents commentaires du traducteur. Le lecteur peu confiant dans ma restitution pourra toujours se reporter s'il le désire aux textes originaux (cf « Yi King, Livre des Transformations », version française d'E. Perrot d'après la traduction en allemand de Wilhelm. Librairie de Médicis. Voir pp. 246 à 248).

L'hexagramme 54 compare la situation de la concubine à celle de l'épouse officielle selon les usages de la Chine ancienne. La concubine représente par extension toute relation libre (dont l'homosexualité) par rapport au contrat de mariage. On dit alors que la concubine ne doit pas supplanter la maîtresse de maison, ce qui signifie que le rôle du couple homosexuel n'est ni de supplanter le couple conventionnel, garanti par un statut juridique (« union du devoir et du droit ») ni de le singer. Son rôle est différent : l'union libre est considérée comme « l'alpha et l'oméga » alors que le couple traditionnel présente un aspect fonctionnel (l'union du devoir et du droit). Si l'union libre est considérée comme chose passagère, c'est qu'elle se conçoit en général sur une « impulsion » et une « inspiration du moment », d'où une vulnérabilité foncière. Mais ce risque peut-être conjuré si dans les relations libres « on a toujours la fin présente devant les yeux ». En d'autres termes il s'agit d'ajouter au caractère impulsif et spontané (gratuit) de ce type de relation une motivation, un programme qui ajoute quelque chose au caractère épidermique et purement sympathique de ce type de rapport « libre ».

Nul n'est obligé de se contenter d'une telle réponse et j'ai posé une seconde fois, sous une forme un peu différente, la question, voici la réponse de l'oracle.

« La folie juvénile

Ce n'est pas moi qui recherche le jeune fou

C'est le jeune fou qui me recherche

S'il interroge deux, trois fois c'est de l'importunité

S'il est importun je n'informe pas

La persévérance est avantageuse. »

Je ne crois pas nécessaire de donner un long commentaire : l'oracle dit en des termes assez percutants qu'il ne saurait répondre une nouvelle fois et manifeste quelque humeur jugeant mon insistance déplacée.

Nul n'est obligé de se contenter de cette expérience et chacun peut la refaire à ses risques et périls.

Le moment est venu de conclure, je citerai l'opinion du célèbre psychologue Jung qui s'est beaucoup servi du vieux Livre :

« Chaque fois que par une démonstration, je réussis à faire apparaître la phénoménologie psychologique du Yi King j'estime avoir atteint mon but. Je ne crois pas pouvoir répondre aux innombrables questions que soulève ce livre remarquable. Le Yi King ne se présente pas à nous avec un arsenal de preuves et de résultats concrets : il ne prétend pas à l'infaillibilité et son accès reste difficile. Il attend qu'on le découvre comme un phénomène naturel. Il ne promet la puissance à personne, mais s'offre à ceux qui désirent se connaître eux-mêmes et atteindre la sagesse si la sagesse existe. Pour les uns l'esprit qui anime le Yi King est parfaitement limpide, pour d'autres, il est d'une obscurité totale. Mais personne n'est tenu de consulter le Yi King et ne croient à sa vérité que ceux qui le désirent. Mais s'il peut faire du bien à ceux-là qu'il le fasse. »

Que puis-je ajouter ce commentaire plein d'humilité et de tolérance ?

Je souhaite avoir rendu intelligible la « phénoménologie » propre au Yi King. La plupart des textes se rapportant aux 62 hexagrammes restants sont par rapport à la question posée totalement dénués de sens (sauf rares exceptions).

J'avoue qu'en posant la question formulée plus haut je sous-entendais implicitement celle du « mal » au sens théologique. J'agissais par jeu.

Mais la réponse me fut profitable : cette question n'a pas de sens dans la culture chinoise. Elle est typiquement « occidentale ». Nous autres sommes des esprits torturés et tout nous est sujet à un drame cornélien à cause du moralisme religieux qui imprègne l'air que nous respirons.

Le Taoïsme se réfère au spectacle dualiste de la nature (le Yin et le Yang, entre autres le masculin et le féminin) mais l'interprète essentiellement dans ses aspects de collaboration, là où nous ne voyons que conflit. C'est là notre tare ! Le grand intérêt du Yi King est de nous proposer autre chose grâce à quoi certains pourront dépasser leur angoisse et adopter un mode d'approche existentiel plus réaliste. Je n'ose dire que le Yi King peut-être un remède à notre déformation : nous sommes à des degrés divers intoxiqués et peut-être incurables. Le but n'est pas de rejeter notre culture. Mais le Yi King peut nous aider à approfondir ce qui en fait la spécificité. Notre évolution doit être affaire de choix conscient. Nous sommes ici très loin de l'aspect « divinatoire » ordinaire car le Yi King est source de réflexion.

Arcadie n°322, octobre 1980

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