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Exposition au Musée Dapper : Signes du corps

Publié le par Jean-Yves Alt

Visite de l'exposition par Fabrice Neaud, auteur-dessinateur de BD pour Beaux Arts Magazine n° 250, avril 2005, pages 41 à 43

Le signe (désormais) décore

Extrait des commentaires de Fabrice Neaud :

Des jeunes parisiens (ou "citadins occidentaux") pillent le patrimoine artistique non-occidental, pour se parer, finalement, du fruit de leur rapine culturelle comme on s'achète un Nike ou un Chanel selon ses moyens et/ou sa classe sociale...

"Volonté de transgression" argue le texte de présentation ? Mais transgresser quoi ? Quelle normalité ?

«Ceux qui assument, en toute liberté, des marques extrêmes ne s'attachent pas tant à reproduire des modèles "tribaux" qu'à se forger un corps idéal.»

Un corps idéal ? Mais alors il n'y a pas plus de distinction de "projet" que chez le plus ordinaire des bodybuilders.

Et si c'est à apprivoiser la douleur, il y a bien longtemps que le body art, encore une fois, a tenté l'aventure. Quant à se dissocier de "toute ritualité sociale ou religieuse", nous sommes donc parfaitement dans l'adhésion à l'ontologie individualiste post-moderne.

Plus aucune implication collective, plus de rites qui fassent entrer l'individu dans le réseau des symboles voué à contrarier puis sublimer l'égo :

Je suis et je deviens le totem de moi-même.

SIGNES DU CORPS

Du 23 septembre 2004 au 17 juillet 2005

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Droits d'unions

Publié le par Jean-Yves Alt

Au-delà des clivages pour/contre, le mariage homosexuel interroge la fonction sociale du droit civil.

Le mariage homosexuel célébré par Noël Mamère le 5 juin 2004 doit conduire à un débat sur la fonction sociale du mariage, voire du droit civil. En effet, il nous faut sortir de l'opposition stérile entre les partisans du droit au mariage de couples du même sexe qui s'appuient sur le principe d'égalité des droits et ses détracteurs qui s'abritent derrière des considérations anthropologiques et psychologiques.

Débattre du mariage homosexuel doit comporter comme préalable quelques précisions sur le rôle du droit occidental et français en particulier. Le droit pénal et le droit civil n'ont pas exclusivement des fonctions utilitaires, visant pour le premier à juger et punir les crimes et délits et pour le second à organiser la vie en société par des contrats en bonne et due forme.

Le droit pénal constitue aussi une fiction juridique censée émettre une parole structurante sur l'interdit, qui participe à son intériorisation par tout un chacun.

Notre droit civil se donne également pour mission d'instituer une relation dialectique entre individu social et sujet autonome, en élaborant une parole laïque adressée à tous sur une maturation fondée par les deux axes de la séparation-individuation et de la différenciation sexuelle et générationnelle. Il nous est ainsi délivré des messages sur la différenciation générationnelle par la loi sur l'état civil, sur la séparation parents-enfants par la loi sur la majorité, sur la différenciation sexuelle par le mariage, et sur le basculement des générations par les lois sur la succession. Dans ce contexte, peu importe au fond que les gens bénéficient du contrat-mariage, dans la mesure où la fiction-mariage joue le rôle d'organisateur psychosocial.

Cette conception du droit est complexe, et ne sous-entend en rien que les homosexuels sont a priori moins armés que les hétérosexuels dans le champ de la séparation-individuation et de la différenciation sexuelle et générationnelle.

On peut tout à fait être homosexuel et différencié de ses parents, de son partenaire, et suffisamment mature pour élever un enfant dans l'élaboration de positions maternante et paternante. Les partisans du mariage homosexuel ont raison de considérer comme homophobe le discours consistant à décrire les couples du même sexe comme a priori moins affectueux que nombre de couples de sexe différent, pris dans des relations d'emprise et de destruction mutuelle fort inquiétantes.

Ces arguments sont en faveur de l'élaboration d'un dispositif proche du mariage pour les homosexuels, mais ils occultent la question de l'institution-mariage, soutenue par le courant juridique dit «idéaliste».

Ce courant, soucieux de structurer les citoyens autour d'une œuvre de l'esprit et de la raison, a été mis en péril au début du XXe siècle par Hans Kelsen, qui a instauré un droit «positif» nettoyé de toute référence aux valeurs judéo-chrétiennes, platoniciennes, augustiniennes, thomistes, kantiennes et hégéliennes. Ce social-démocrate autrichien a élaboré une pure technique juridique exclusivement conventionnelle, dans une dynamique de laïcisation radicale, qui a émancipé le droit occidental de ses origines hébraïques, canoniques voire tout simplement politiques.

L'affranchissement trop important de considérations éthiques a conduit certains, qu'on ne peut accuser de réactionnaires, à reprocher au droit positif de s'accommoder des lois injustes et des régimes totalitaires, qu'un droit moins neutre politiquement pourrait combattre.

Même si nous ne pouvons que nous réjouir d'être de moins en moins institués par une doctrine juridique qui nous explique le sens de notre existence, il nous faut tout de même être vigilants quant aux conséquences de l'émergence d'une neutralité axiologique radicale du droit civil, dont procéderait un mariage réformé sans discussion sur le fond. Dans ce contexte, deux voies s'offrent à nous :

■ soit nous créons un dispositif légal différent du mariage, ouvrant à l'union contractuelle puis au droit à l'adoption des couples homosexuels, ce qui comporte l'avantage de pérenniser la fonction instituante du mariage mais l'inconvénient de discriminer possiblement les couples du même sexe de ceux de sexe différent.

■ soit nous donnons aux homosexuels un droit au mariage et à l'adoption, ce qui nécessite un débat de fond sur notre position quant à la philosophie de tout notre corpus juridique, idéaliste ou positif ?

La question qui nous est posée par le possible mariage homosexuel est donc bien plus qu'une simple question de société, puisqu'elle implique que le législateur et les citoyens tranchent sur des interrogations philosophiques et juridiques occultées depuis trop longtemps.

François DANET est psychiatre, médecin légiste à l'hôpital Edouard-Herriot à Lyon

Libération, François DANET, mercredi 12 mai 2004

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Irrésistible Alfie, un film réalisé par Charles Shyer (2003)

Publié le par Jean-Yves Alt

Manhattan est le terrain de chasse favori d'Alfie qui y trouve chaque soir l'occasion de faire de nouvelles conquêtes. Cinq femmes se partagent ses faveurs : Dorie, Julie, Lonette, Nikki et Liz. Trouvant de plus en plus facile de se mentir à lui-même, Alfie passe de l'une à l'autre, s'éclipsant chaque fois que l'une d'elles prétend s'accrocher.

Mais il y a celle qui va refaire sa vie et lui laisse un goût amer lorsqu'il la croise à nouveau ; celle qui lui cache l'enfant qu'il ne connaîtra jamais ; celle à qui il pensait ouvrir son coeur et qui l'en punira sévèrement. Alors, le bel Alfie, qui avait réponse à tout, se retrouvera paumé comme jamais, et se demandera pour la première fois "à quoi ça rime ?"...

MON COMMENTAIRE : CHANGER, C’EST DIFFICILE !

Le début de l'année est une période souvent marquée par les bonnes résolutions, dont on a tendance à se gausser. Quoi de plus dérisoire que ces décisions qui n'en sont pas, et qui se renouvellent d'une année sur l'autre pour initier le énième régime ou mettre en place, pour la dixième fois un vrai sevrage tabagique. Plus profondément, d'autres souhaits sont formulés dans le secret des cœurs, dans le but de réellement changer des comportements, des attitudes qui engendrent souffrances ou difficultés en soi ou autour de soi : que le conflit cesse dans un couple, qu'une décision d'engagement affectif ou professionnel puisse être prise.

L'« IRRÉSISTIBLE ALFIE », héros du film de Charles Shyer, joué avec subtilité par Jude Law, en est là. Il a, par moments, la velléité de changer, et il n'y arrive pas. Séducteur invétéré, il ne peut s'empêcher d'aligner les plus jolies femmes à son tableau de chasse. Jusqu'au jour où l'une de ses «victimes» le laisse tomber, et qu'une autre lui cache un enfant qu'elle a eu de lui. Le doute s'insinue en lui, et il se rend compte qu'à instrumentaliser le corps des superbes New-Yorkaises il se retrouve lui aussi utilisé et, en définitive, seul. Sa décision de modifier sa vie chemine tout au long du film, sans vraiment prendre forme, dans une mise en scène brillante de l'ambivalence du jeune Anglais : se fixer et rencontrer la femme de sa vie suppose de renoncer à toutes les autres, et surtout d'affronter son angoisse d'étouffement à rester avec une seule femme. D'autant que s'engager, c'est aussi se risquer à souffrir. La seule femme avec laquelle il se découvre ainsi quelque peu le trahit... Alfie oscille. Il souhaiterait des enfants, mais dès qu'il s'approche trop près d'une femme, il discerne le détail des imperfections de l'image féminine après laquelle il court et qu'il fuit en même temps.

Ambivalent, divisé, incapable de se décider, l'Alfie incarné par Jude Law n'est pas un séducteur cynique.

La presse quasi unanime a crié à l'horreur de la guimauve hollywoodienne, et à l'horreur suprême de l'instance moralisante, puisque le séducteur est «puni», dans le film, par celles qu'il a séduites.

Pas si sûr, avec cette analyse faite dans les médias. Charles Shyer montre bien, par la finesse des apartés d'Alfie adressés au spectateur, faisant d'ailleurs penser à certaines pièces «légères» de Shakespeare [notamment «Beaucoup de bruit pour rien»], combien la décision de changer de vie n'est jamais simple, et se heurte à la complexité du désir, ainsi qu'à l'épaisseur des déterminismes intérieurs, des angoisses et des peurs de chacun. Les décisions importantes sont souvent prises dans cette division essentielle du sujet : il faut qu'Alfie chemine, sans doute un certain temps, avant de pouvoir réaliser ce qui semble être sa décision. Qu'y a-t-il là de moralisant alors ?

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Penser la mort

Publié le par Jean-Yves Alt

Depuis le XVIIIe siècle, la mort a été déclarée comme prenant trop d’espace dans la vie humaine, et a été ainsi reléguée entre les mains des médecins. Une grande angoisse du XVIIIe siècle fut celle d’être enterré vivant. Aujourd’hui, ce serait plutôt de finir dans un cercueil de tuyaux et de fils, mort-vivant sans relation à l’autre par une médicalisation acharnée.

La demande d’euthanasie – d’une «bonne mort» - se trouve être, alors, une manière de forcer les autres à se préoccuper de la personne agonisante, ne serait-ce qu’en lui donnant la mort, s’ils n’ont pas offert auparavant présence et réconfort. Les partisans d’une libéralisation de l’euthanasie se réfèrent aux arguments individuels de liberté et de dignité, dignité signifiant le désir «de rester maître de soi, de ne pas perdre le contrôle de son corps, de ses sécrétions, de ses émotions. [...] L’idéal du moi rend insupportables la souillure, la dégradation, l’enlaidissement.» [1]

Le corps, objet de toutes les attentions durant la vie, ne doit plus trahir au terme de celle-ci. Il s’agit de choisir, dans une posture esthétique, l’instant de sa mort, en allant jusqu’à l’organiser et la théâtraliser. Mais cette référence individualiste est souvent illusoire : derrière quelques situations dramatiques de personnes criant leur désir d'en finir, combien de cas, noyés dans l'anonymat, où la fin de vie est gérée directement par le personnel médical, dans une décision de continuer ou non les soins, prise sans l’avis de la famille ou du principal intéressé, d’ailleurs rarement à même de le donner.

Cette mise en avant de la liberté individuelle est un vœu hypocrite : celui d'une «bonne mort» pour l'autre qui cache une réalité moins ragoûtante : «L’euthanasie se présente comme un moyen de parvenir à la bonne mort. Bonne pour qui ? Pour la personne en fin de vie, son entourage, le système de soin, la société dans son ensemble.» [1]

Plutôt que d'assurer à tout citoyen une bonne mort socialement correcte, rassurante et hygiénique pour la société, que pouvons-nous faire pour aider à accompagner ceux qui sont en fin de vie dans une bonne mort «intérieure» ?


[1] À lire : Pascal Hintermeyer, Euthanasie, la dignité en question, Editions Buchet-Chastel, Collection Au fait, 2003, ISBN : 2283019257

Présentation de l'éditeur : Qu’en est-il de la mort alors que l’allongement de la durée de la vie et les progrès de la technique médicale bouleversent les données du «dernier passage» ? N’allons nous pas, sans le dire, vers une fin de vie interminable et déshumanisée ? Du coup le débat se focalise sur l’euthanasie, en invoquant le droit à mourir dans la dignité. Pascal Hintermeyer reprend la question en s’interrogeant sur ce qu’est la « bonne mort », en faisant le point sur les pratiques de soins palliatifs, montrant en quoi elles clarifient les termes de la discussion, et en plaidant pour que la fin de vie ne soit plus laissée en friche. Quel sens donner à ce point ultime de la condition humaine et à la mort ?

Biographie de l'auteur : Pascal Hintermeyer, 47 ans, dirige depuis 1996 l'Institut de sociologie de l'université Marc-Bloch de Strasbourg. Il a publié en 1981 Politiques de la mort (Payot), participé en 1994 à Un voile sur l'amour - Enquête sur les jeunes face au sida (Presses universitaires de Strasbourg). Il est l'un des meilleurs spécialistes français de l'approche sociologique des questions touchant au rapport à la mort.


Lire encore sur ce blog :

La peur des morts continue même dans les sociétés modernes

La mort a disparu de nos yeux

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Hommage aux cinq sens

Publié le par Jean-Yves Alt

Nature morte à l'échiquier - Lubin Baugin - vers 1640

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