On retrouve dans sa mémoire, un détail que l'on reconnaît pour l'avoir vu, sans savoir où on l'a vu, sans pouvoir l'identifier tout à fait. Il s'agit d'un ameublement, d'un paysage, d'un parfum, d'une bribe de conversation, d'un fragment de visage, de l'expression fugitive d'une physionomie connue et anonyme et chaque fois une émotion vous étreint de bonheur, de regret ou de désir.
On voudrait savoir, on voudrait voir davantage. On sait qu'on a été heureux à cet endroit, à cause de telle chose, de tel être, mais quand ? Où ?
Il s'agit là d'un rêve en partie oublié, qui ne s'est pas fixé dans la mémoire avec toutes ses circonstances bien qu'il représente parfois une de nos expériences les plus profondes, les plus sûres, peut-être la seule que nous ayons du bonheur et demeure en nous ce prestige, ce charme répandu sur tout le jour, et parfois sur toute la vie, mieux qu'un charme, une science, la certitude, la certitude d'avoir un secret, quelque chose de si rare qu'on se le cache, qu'on se le dérobe même à soi-même, pour mieux le garder.
Marcel Jouhandeau
■ in De l'abjection, Editions Gallimard, 2006, ISBN : 207077743X, [pages 47-48]
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