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La pédérastie de Gide vue par Ramon Fernandez

Publié le par Jean-Yves Alt

Corydon considéré par beaucoup comme une violence destinée à défendre la pédérastie de Gide est, pour Ramon Fernandez, la pierre angulaire de son œuvre.

Dans son essai sur Gide (1), Ramon Fernandez s'acharne à mettre en lumière, sans faux-fuyants, sans moralisme, la révolution intérieure que fut pour Gide la révélation du plaisir mais aussi sa volonté d'assumer sa pédérastie sans la clameur des agressivités gratuites, mais avec le courage (dans cette première moitié du XXe siècle) d'un être qui ne peut nier, ni renier, la part importante de la chair et ses conséquences dans un mode de vie et une œuvre littéraire.

Ramon Fernandez situe très bien le regard que portait Gide sur son goût des garçons :

« On n'entend rien, en effet, au problème de la pédérastie si l'on ne s'avise du fait qu'elle est un objet d'opprobre, non seulement pour les vertueux et les saints, mais pour les libertins et les débauchés [...] Aisément, l'inverti devient le bouc émissaire de la débauche universelle, une sorte d'abcès de fixation par où s'écoule le pus du corps social. »

Dans le chapitre sur Corydon, Ramon Fernandez décortique les rapports entre « naturel » et « chrétien » et bouscule bien sûr cette notion de « naturel » qui est subjective mais s'entête à se vouloir une abstraction morale. Il établit également un parallèle, époustouflant d'acuité, entre l'homosexualité (on disait l'inversion) de Proust et la pédérastie de Gide.

Les deux abordent des univers différents mais surtout s'éloignent dans leur attitude face au plaisir, face à l'amour. Dans l'immense intérêt qu'ils portaient au monde en général, Gide et Proust ont su inscrire leur « différence » comme le lien personnel et privilégié de l'exercice de la pensée et de l'écriture.


(1) Gide ou Le Courage de s'engager, de Ramon Fernandez, 1931

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Quand Jean-Paul Aron parlait des slips masculins…

Publié le par Jean-Yves Alt

« Sans éclat, jusqu'au terme des années soixante, quand, soudain, à l'apogée de l'ère de croissance, le slip, décidément pionnier, sacrifie le confort à l'art.

La "taille basse", la couleur, le synthétique investissent les bonneteries, atteignent les grandes surfaces et les banlieues, se répandent dans les campagnes, arrachant le sous-vêtement à la morosité d'un destin hygiénique pour le promouvoir conjointement en gadget et en ressort de l'élégance à l'exemple de la cravate ou de la chemise.

Chez « Eminence », le leader, dont les ventes doublent entre 1969 et 1974, 57% en 1973, à raison de 121 millions, affectent la taille basse et 33% la couleur. « HOM », qui se spécialise en formats minimes, simultanément bondit de 5 à 58 millions de chiffre d'affaires, dispensant à ses adeptes toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Grimpée identique chez « Jil » avec, en 1973, un chiffre de 73 millions et la deuxième place dans le palmarès national.

Porter un minislip rouge ou bleu, c'est, pour quantité de garçons, valider leur corps.

« J'aime les slips de couleur et de taille basse, dit un agent de maîtrise de vingt-cinq ans, parce que je fais du sport. Quand je me déshabille, je me sens plus à l'aise, j'ai l'impression d'être en maillot de bain. »

Mais l'homme n'est pas seul en cause. De son bien-être, les femmes représentent un atout majeur et l'afféterie de ses dessous ne lui pose aucun problème dès lors qu'elles en sont solidaires. Vers 1970, dans une proportion de 70%, l'achat de ces articles leur incombe. A cette intervention décisive, les annonceurs prêtent une attention vigilante, associant dans les publicités massives qui frappent après 1968 les étrangers débarquant en France les spectacles les plus audacieux à une masculinité irréprochable. « Jil » et « Mariner » insistent sur les pilosités profuses, les grosses moustaches, les jambes velues. Surtout pas d'équivoques, depuis l'échec, en 1967, de « Selimaille » dessinant, à l'ombre d'un slip d'avant-garde, une silhouette à la définition imprécise. Furibondes, les clientes s'étaient détournées de cette marchandise injurieuse. Tranquillisées, elles se livrent à des réflexions touchantes :

« J'achète des slips taille basse à mon mari, parce que cela lui donne un derrière bien rond. »

Encouragés, les messieurs se laissent aller aux confidences :

« Moi qui suis pudique, déclare un cadre de trente-cinq ans, avec un slip en couleur, je peux circuler plus facilement à la maison (...) Et ma femme se montre à son tour plus facilement en petite tenue. Notre vie intime en a été améliorée. »

Un autre y va encore plus carrément. La taille basse, la couleur agissent comme des signaux :

« Quand le zizi est proéminent dans le slip, peut-être que ça aguiche davantage les filles, il se voit à l'œil nu, il n'est pas perdu dans le pantalon. »

De ce bout d'étoffe, le symbole excède les morphologies même flatteuses, il introduit à une phénoménologie inédite de l'apparence. « Jil », montrant un homme au slip anachronique en butte aux quolibets d'un groupe d'amis "modernes", s'inscrit dans la lignée française des romans d'initiation. Par six douzaines de chemises, Julien Sorel conquiert, sous le règne puritain des commerçants, ses lettres de noblesse parisiennes. Qui sont-ils aujourd'hui, ces moqueurs et ce désuet ? Des bourgeois probablement : ils pourraient être ouvriers. La fortune du slip fantaisie souligne, dans l'essoufflement de la lutte de classes, la mutation du corps masculin en instrument de la réussite et du bonheur. »

Jean-Paul Aron

■ in Les Modernes - chapitre Mars 1972. L'Anti-Œdipe, Editions Gallimard/Folio Essais, 1986, ISBN : 2070323706


Lire aussi : L'habillage du sexe reste toujours synonyme de gloire


Lire encore : Bragarts et braguettes par Jean-Claude Bologne

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La mort difficile, René Crevel (1926)

Publié le par Jean-Yves Alt

Le plus beau roman de Crevel, le moins surréaliste et le plus autobiographique. L'auteur y parle de ses rapports conflictuels avec sa mère, de son amour douloureux pour le peintre américain Eugène Mac Cown, (Bruggle dans le roman), et surtout il y met en scène, de façon prémonitoire, sa propre mort, son propre suicide.

Pierre Dumont, homosexuel et toxicomane, personnage central de « La mort difficile », aime Arthur Bruggle l'Américain, venu en Europe comme laveur de vaisselle, maintenant dandy capricieux et insolent. Pierre est aussi aimé de Diane, « sa sœur d'ombre ». Quand Arthur trompe Pierre, ce dernier trouve, un temps, consolation auprès de son amie. Entre la douce compagne compréhensive et attentive et « son frère de lumière », représentant d'une jeunesse embellie par les fêtes et les griseries de toutes sortes, Pierre hésite, désorienté, troublé, fragile. Au cours d'une soirée, Arthur, humilie Pierre ; ce qui le conduira au suicide. Pris de remords, Arthur pleurera sur son cadavre et trouvera le réconfort auprès de Diane.

Roman poétique et désespéré, « La mort difficile » brasse à la fois le réel et l'imaginaire à coups de phrases brèves et de notations ironiques qui saisissent de l'intérieur les motivations des personnages.

Ce roman témoigne de l'obsession autobiographique et de la bisexualité de René Crevel et délivre un document essentiel sur une certaine jeunesse des années 1920.

La mort difficile... Tout est dit. Parler de la vie de Crevel, parler de l'œuvre de Crevel, c'est d'abord parler de la mort, de sa mort, recherchée, crainte, espérée, redoutée, autour de laquelle il n'a cessé de rôder et qu'il choisira librement, à l'âge de trente-cinq ans, comme sa dernière révolte, le dernier et tragique manifeste de sa liberté.

« Une tisane sur le fourneau à gaz ; la fenêtre bien close, j'ouvre le robinet d'arrivée ; j'oublie de mettre l'allumette » : telle est la recette infaillible du suicide qu'il donne dans « Détours », son premier roman, paru en 1924... Prémonition de sa propre fin ?

À l'enquête lancée par la Révolution surréaliste dans son numéro 2 du 15 janvier 1925 : « Le suicide est-il une solution? », Crevel répondait déjà : « la plus vraisemblablement juste et définitive des solutions ». À ses yeux, pas de doute, tout le reste n'est qu'agitation, simulacres de vérités, divertissements frivoles, pour se protéger ou s'écarter en vain de la mort.

■ La mort difficile, René Crevel, Éditions Le Livre de Poche/Biblio, 1987, ISBN : 2253042919


Lire La mort difficile sur le site wikisource


Du même auteur : Mon corps et moi


Lire aussi : René Crevel par Michel Carassou

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Extraits de « Mon corps et moi », René Crevel

Publié le par Jean-Yves Alt

Plus encore que les romans de René Crevel, ce sont ses textes rares et ses poèmes, plus rares encore, réunis dans « Mon corps et moi », qui me touchent le plus. Tout y est dit de façon ramassée, avec une densité poétique extrême. Il s'agit là de poésie pure ! Car, avant tout, Crevel est un poète.


Albert et les gigolos

« Le voyou apprend vite à choisir les plus jolies cravates. Il en a toute une collection. Il danse bien, il chante. Lui aussi il va faire de l'art. La tuberculose, la coco ont déjà creusé son visage mais pas encore affiné ses mains. Il a un camarade qu'il aime bien et contre qui il voudrait dormir tout nu, et sans rien faire, comme un bébé. Mais voilà, il y a le travail. Comment oublierait-il le rôle qu'il s'est choisi ? Ils sont plusieurs gigolos qui s'efforcent à bien réciter, à bien chanter dans ce bar où des noctambules vont pour se divertir, s'encanailler. [...] Ce jeune saint Sébastien de la zone, habillé en rat d'hôtel, désigne son entrejambe ! Voici la fleur de volupté... Quand il est ivre, il montre sous des bracelets de cuivre doré deux cicatrices aux poignets. Il a essayé de s'ouvrir les veines. Petit Pétrone anachronique de beuglant, il n'a pas su mourir, mais depuis cet essai manqué, des bouquets, les plus mauves, les plus tristes, sous ses yeux, se fanent. »


« Que Proust par exemple ait fait d'Albert une Albertine, voilà qui m'engage à douter de l'œuvre entière et à nier certaines découvertes qui m'y furent présentées chemin faisant. Bien que l'auteur m'ait paru assez peu soucieux des bienséances et libre d'entraves conventionnelles, il m'est difficile de le croire préoccupé de la seule étude entreprise. Il s'est souvenu des règles de la civilité puérile et honnête et, par la faute de sa mémoire policée, la transposition combinée enlève à son œuvre le plus fort de l'action qu'elle eût dû avoir. »


« D'un suicide auquel il me fut donné d'assister, et dont l'auteur-acteur était l'être, alors, le plus cher et le plus secourable à mon cœur (son père), de ce suicide qui – pour ma formation et ma déformation – fit plus que tout essai postérieur d'amour ou de haine, dès la fin de mon enfance j'ai senti que l'homme qui facilite sa mort est l'instrument d'une force majuscule (appelez-la Dieu ou Nature) qui, nous ayant mis au sein des médiocrités terrestres, emporte dans sa trajectoire, plus loin que ce globe d'attente, les seuls courageux.

La vérité. Dès qu'un homme, dans une assemblée, parle de Dieu ou ce qui revient au même de la Vérité, avec un V majuscule et absolu, ses voisins de rire. Mais, interrogez chacun de ses voisins et ils vous avoueront leur effroi devant de tels mots. C'est que les uns ont renoncé (sans parvenir à n'y plus penser) aux problèmes essentiels –, c'est que les autres ont essayé d'un arrangement provisoire (mettons humain) qui ne saurait les satisfaire. Je pense à cette phrase qu'un homme anxieux écrivit, réponse à des remarques désespérées : "Il y a beaucoup de grandeur dans un peu de vérité."

Beaucoup de grandeur dans un peu de vérité ?

Pourquoi ? Si j'ai rêvé d'une solitude telle que je ne serais pas tenté, le soir venu, de chercher le contact illusoire d'une chaleur humaine c'est bien que ce « un peu de vérité », au cours de toutes mes tentatives quotidiennes, ne m'a jamais contenté. C'est lui au contraire qui a permis au mensonge (le mien et celui des autres) de tenir debout, car si la vérité n'est susceptible d'aucun alliage et, par conséquent, apparaît étrangère à un monde où tout est fusion, le mensonge ne saurait être conçu à l'état pur, je veux dire sans ce "un peu de vérité" dont se contente notre aimable faiblesse. Ainsi, je ne vois point la possibilité d'un mensonge absolu non plus que d'une vérité relative. »


« Mon désarroi est tel que j'ai toujours demandé aux plus beaux yeux d'être intelligents, et les êtres qui m'ont hanté m'ont hanté comme des pensées... »


Regard

Ton regard couleur de fleuve

Est l'eau docile et qui change

Avec le jour qu'elle abreuve.

Petit matin, Robe d'ange

Un pan du manteau céleste

Sous tes cils, entre les rives

S'est pris. Coule, coule eau vive.

La nuit part, mais l'amour reste

Et ma main sent battre un cœur.

L'aube a voulu parer nos corps de sa candeur.

Fête-Dieu.

Le désir matinal a repris nos corps nus

Pour sculpter une chair que nous avions cru lasse.

Sur les fleuves au loin déjà les bateaux passent.

Nos peaux après l'amour ont l'odeur du pain chaud.

Si l'eau des fleuves est pour nos membres,

Tes yeux laveront mon âme ;

Mais ton regard liquide au midi que je crains

Deviendra-t-il de plomb ?

J'ai peur du jour, du jour trop long

Du jour qu'abreuve ton regard couleur de fleuve

Or dans un soir pavé pour de jumeaux triomphes

Si la victoire crie la volupté des anges,

Que se révèle en lui la Majesté d'un Gange.


Du même auteur : La mort difficile


Lire aussi : René Crevel par Michel Carassou

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Homosexualité naturelle par Marcel Jouhandeau

Publié le par Jean-Yves Alt

Comment croire une seule seconde au vice contre-nature dont serait entachée l'homosexualité ? Comment attacher en retour crédit à l'opinion inverse qui en ferait une bénédiction divine ?

« Dieu ne veut pas la malice du péché, car elle n'est rien », disait Descartes. Et Jouhandeau : « Comme il a raison. Je veux dire : Dieu ! »

Le démon de Jouhandeau au firmament de l'impudeur, c'est peut-être tout simplement une certaine forme d'homosexualité naturelle :

« On pourrait souvent remarquer dans certains mouvements obscurs, celui par exemple d'un homme qui se touche lui-même une sorte de tourment sur sa personne. On cherche à s'identifier, en se palpant, comme on se parlerait seul à seul. Il n'y a pas de mouvements plus que de paroles sans destination, mais il en est sans destination qu'on sache. » [1]

Cette forme d'homosexualité naturelle, à tout instant, Jouhandeau croit la voir surgir à ses côtés, mais dès qu'il la regarde, elle s'évanouit.

« Deux hommes sont assis côte à côte les bras nus sur le siège d'une voiture. L'un regarde son propre bras et il me semble que c'est le bras de l'autre qu'il regarde. Qu'y a-t-il dans le regard que nous portons sur nous-mêmes pour que cette équivoque m'ait bouleversé ? Si cet homme avait porté ses yeux sur le bras de l'autre avec la même attention que sur le sien, il y eût eu quelque chose de changé dans son attitude, il y eût eu dans son attitude quelque chose de louche, mais sans doute tous nos rapports avec notre propre corps sont-ils entachés d'une sorte d'homosexualité latente, puisqu'une seconde le regard que cet homme a jeté sur lui-même m'a paru aussi suspect que s'il l'eût jeté sur l'autre. » [2]

Homosexualité naturelle ? Jouhandeau y croit certainement très vite rattrapé par les cris et les chuchotements qui bourdonnent autour de lui. Jouhandeau, dont la philosophie à laquelle il doit un bonheur et un courage incessants, n'a su aimer qu'une chose, mais si ardemment qu'elle faisait passer tout le reste, réduit autour d'elle, à néant. Homosexuel et hétérosexuel, quiconque travaille avec courage et énergie à coopérer à la grâce, rendra la grâce efficace et sera sauvé. Au contraire, celui qui n'y coopère pas, quelque grâce qu'il ait, sera damné.

Alors que faire si Dieu voulait nous damner ? Répondre avec Jouhandeau : je l'embrasserais de mes deux bras, c'est-à-dire avec l'humilité et l'amour ; je le tiendrais si fortement que je le forcerais à descendre avec moi dans l'enfer, et alors l'enfer serait pour moi le paradis, Dieu étant avec moi.


[1] Marcel Jouhandeau, Algèbre des valeurs morales, éditions Gallimard, 1969, p. 54

[2] Idem, p. 55

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