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Chant funèbre par Federico Garcia Lorca

Publié le par Jean-Yves Alt

En août 1934, dans les arènes de Manzanares, le torero Ignacio Sanchez Mejias meurt d'une mauvaise blessure à l'aine à l'issue d'une corrida. C'est pour Lorca une immense douleur. Des sentiments certainement plus forts que ceux de l'amitié rattachaient le poète au matador. Le « Chant funèbre » qu'il lui dédie est l'un des plus beaux morceaux de la poésie contemporaine :

« Par les degrés déjà monte Ignacio,

Toute sa mort est dans son dos.

Il est en quête de l'aurore et l'aurore n'était pas là,

Il cherche son profil précis et le songe le désoriente.

Il cherchait son corps sans défaut

Et rencontra son sang ouvert... »

Et plus loin :

« Ô Murs blancs de l'Espagne

Et toros noirs de peine !

>Ô Le sang dur d'Ignacio et le rossignol de ses veines !

Non, le sang, je ne veux pas le voir !... »

Plus qu'un chant, c'est un cri de révolte et d'amour, amour terrible et brûlé qui dit son nom par sa violence même. Dans chaque vers le cœur est mis à nu et saigne comme saigne le cœur du Seigneur, transpercé de glaives, dans les églises d'Andalousie.


Lire aussi du même auteur : Chanson de la petite folle - Ode à Walt Whitman - A cinq heures de l'après-midi

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Quand Balzac illustrait Girodet

Publié le par Jean-Yves Alt

« Victurnien s'asseyait, prenait un air mélancolique et rêveur, il se laissait questionner en faisant des minauderies. […] Victurnien était arrivé soudain à la finesse des voluptueux ». (1)

 

Anne-Louis Girodet – Le Sommeil d'Endymion – 1792

Huile sur toile, 198cm x 261cm, musée du Louvre

(1) Le cabinet des antiques, Honoré de Balzac, in « La vieille fille et Le cabinet des antiques », éditions Garnier Flammarion, 1987, p. 234/235

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Pasolini : une conscience publique par Philippe Gavi

Publié le par Jean-Yves Alt

« Pasolini est une des rares personnes à avoir su inventer une nouvelle manière de fonctionner de l'intellectuel engagé. L'engagement ne porte plus vraiment sur la cause ou le parti que l'on soutient, il est dans le mode d'intervention publique. Chaque article est un coup bien ajusté, minutieusement préparé, prenant de plein fouet la question d'actualité qui agite tout le monde et la retournant de telle sorte qu'elle provoque un vrai débat sur le fond, une discussion d'idées.

Et, cela, toujours avec une tendresse extraordinaire, un respect de la parole de l'autre, une écoute qui, n'étant généralement pas partagée ; ceux qui polémiquent avec lui cherchant presque toujours, pour convaincre, à déformer ce qu'il a dit, ou à alléguer ce qu'il n'a pas dit, oblige à cette petite révolution qu'est la réflexion. Là où il y a une subjectivité qui se nie et veut se donner comme principe établi, Pier Paolo Pasolini invoque les principes, il avance des arguments rigoureux. Là où il y rigueur et principes, il invoque la subjectivité et la dialectique. Il est l'homme qui dit TOUT ce qu'il pense, l'homme de la transparence, de l'athéisme politique. Grâce à quoi, il était devenu une sorte de conscience publique pour les Italiens, provoquant notamment chez les jeunes communistes avec qui il ne cessait de discuter de fertiles remous. »

Philippe Gavi

in préface des Écrits corsaires (Scripti corsari, 1973-1975), Pier Paolo Pasolini, Éditions Flammarion/Champs Contre-Champs, 1993, ISBN : 2080815059


Lire encore : Pier Paolo Pasolini, une biographie de Nico Naldini

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Figures humaines dans la peinture du Caravage

Publié le par Jean-Yves Alt

Les figures humaines présentes dans les œuvres du Caravage (Michelangelo Merisi, dit le) sont, très souvent, seulement associées à son homosexualité : on présente alors de jeunes éphèbes, torse nu et bouche entre-ouverte.

Pourtant, à partir de la fin des années 1590 (il a 25 ans environ), il va peu à peu abandonner, ce registre basé sur la mythologie festive et bachique pour se consacrer à la Bible (les deux Testaments) et à des représentations beaucoup plus sombres et dramatiques.

Dans ces dernières œuvres, les adultes représentés sont pour le moins peu avenants : les femmes sont plus de l’ordre de l’irréalité alors que les hommes sont franchement repoussants.

Seuls les jeunes hommes gardent cette part de désirable qu’ils avaient déjà dans les premières peintures. Comme si dans «le monde» du Caravage, les hommes jeunes sont obligatoirement féminins et les plus vieux confinés à la laideur. Un peu à part, les femmes devenues mères accèdent au statut de «saintes».

Pour sa propre représentation, le Caravage n’a pas hésité à faire varier ses autoportraits, en s’appropriant la dégénérescence de son propre visage. Il va même jusqu’à se représenter, à 37 ans, sous les traits effrayants d'un «Goliath» décapité.

Façon de conjurer une certaine part de narcissisme ?

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Corydon, André Gide (1924)

Publié le par Jean-Yves Alt

Ce que Gide souhaitait par-dessus tout dans « Corydon » ?

Parler de l'homosexualité d'une façon rationnelle, non point tant passionnelle que basée sur des références et des observations. La passion fut sans doute à la base de la composition du livre – mais tout devait s'y traduire en logique sérénité.

« Corydon », c'était aussi le témoignage d'un esprit imbibé de culture et d'une exigeante impartialité contre tous les témoignages charriés par la littérature de l'époque et parfois la plus basse (Willy, Jean Lorrain, Binet-Valmer...). Son regret était évidemment que la mort n'ait pas permis à Zola, qu'il admirait, de donner son point de vue sur la question. Mais Zola, avec son goût des tableaux sordides, eût-il été ici si bon peintre ?

D'autre part, en s'avouant soudain l'auteur de « Corydon », Gide savait le faire contre les « applaudissements, décorations, honneurs, entrées dans les salons à la mode » (p. 7). Non seulement il compromettait une célébrité lentement acquise, dérouterait une jeunesse dont l'attention lui importait plus que n'importe quel hommage d'aîné influent, mais il serait certainement montré du doigt où qu'il aille, comme naguère Oscar Wilde, rejeté par son propre milieu et contraint à l'exil. Mais courageusement, prêt à tout, Gide précise dans sa préface : « Je ne tiens qu'à l'estime de quelques rares esprits qui, je l'espère, comprendront que je ne l'ai jamais mieux méritée qu'en écrivant ce petit livre et qu'en osant aujourd'hui le publier » (p. 7). Cette estime, il préfère d'ailleurs la perdre que « la devoir au mensonge et au malentendu » (p. 7).

L'effet de « Corydon » ? Comme Gide s'y attendait, tout en faisant sensation, il ne souleva à peu près que discrédit, réserves, ou approbation réticente, et les quolibets de la presse de seconde zone. Gide, pour des années, se fit de furieux ennemis. On eût admis de sa part une confession déchirante de son « vice », un mea culpa. Mais la volontaire tranquillité du livre, cette façon presque scientifique de parler de l'uranisme, surprenait ou indignait. Il passa pour un pervertisseur de la jeunesse, alors que Jean Cocteau, que l'on savait évidemment du même bord, rassurait en amusant jusque dans ce qu'il avait d'inquiétant. Cocteau parlait en Arlequin de génie. Gide prétendait imposer ce que l'on tenait pour des contre-vérités, contre nature en plus, avec la voix d'un sage antique. Francis Jammes, ex-ami de Gide, crut bon alors d'écrire un « Anti-Gide » [1], et le moins qu'on puisse dire c'est que l'auteur de « Corydon » n'y est pas flatté.

Aujourd'hui, même si on reproche parfois à ce livre – dont le sous-titre est « Quatre dialogues socratiques » – d'être ennuyeux et laborieusement démonstratif, il a sa place parmi les ouvrages des grands anticipateurs et éclaireurs des mœurs.

Ce que Gide pressentait évidemment, c'est qu'un jour ou l'autre, « Corydon » serait reconnu pour son honnête approfondissement de la question homosexuelle, loin de toute complaisance facile et empirique. Personne aujourd'hui, lisant « Corydon », ne songe plus à accuser Gide de provocation et de forfanterie, ni de vouloir pervertir les jeunes.

D'un bout à l'autre, les « Quatre dialogues socratiques » imaginés par Gide éclairent les sources de l'uranisme, en déculpabilisant l'homosexualité, en forçant à la regarder en face. François Mauriac ne peut que faire un peu sourire lorsqu'il écrivait à propos de Gide, en se situant en terrain chrétien : « Je songe que Gide a préféré à tous sa souillure (lire : son homosexualité), mais en niant d'abord qu'elle fût souillure. »

Ce que crie « Corydon », avant tout, c'est que l'homosexualité ne saurait être souillure, ni péché au sens moral ou catholique, ni tare physiologique ; qu'elle existe partout dans la nature, dans l'élan des civilisations. Gide cite maints exemples d'animaux faisant preuve, si l'on peut dire, de tendances homosexuelles : chiens, chats, bestiaux, canards, poulets, pigeons, béliers, boucs, etc. L'auteur donne maints extraits de naturalistes, de savants à l'appui. Il démythifie la prédestination absolue, chez l'homme, à l'hétérosexualité. Et il entend signifier clairement que l'homme, tout porté qu'il soit vers le besoin de se perpétuer, garde une grande part de sexualité disponible en dehors même de l'acte procréateur.

Gide veut libre la sensualité humaine en dépit des ukases sociaux, religieux, moraux. Exercés sans hypocrisie, le plaisir, le choix personnel ne peuvent que grandir chaque personnalité originale. S'il ne peut nier que l'essence du sacré soit dans la nature, Gide le voit aussi bien dans l'acceptation sans détour de ce que l'on prétend trop facilement « contre nature ».

Pour l'exposé moral de ses idées sur l'homosexualité, l'auteur ne manque ni d'exemples, ni d'appuis. À propos des Celtes, il cite Diodore de Sicile : « Bien que leurs femmes soient agréables, ils s'attachent fort peu à elles, tandis qu'ils manifestent une passion extraordinaire pour le commerce des mâles. » (3e dialogue – p. 97)

Gide n'omet pas, bien sûr, de rappeler que lorsque Plutarque et Platon parlent d'amour, « c'est autant de l'homosexuel que de l'autre » (4e dialogue – pp. 111/112), qu'à Lacédémone, au temps des Spartiates, « la pédérastie était non seulement admise, mais même, si j'ose dire, approuvée » (4e dialogue – p. 115), que « les Perses, à l'école des Grecs, ont appris à s'accoupler entre garçons< » (4e dialogue – p. 119) ; que Sophocle, selon Athénée, « aimait les jeunes garçons autant qu'Euripide les femmes » (4e dialogue – p. 119).

On voit par là que l'intention de Gide, en dehors de tout exemple basé sur l'instinct, la spontanéité du comportement humain et animal, est de rattacher l'homosexualité aux grands courants des civilisations et de l'humanisme.

On aurait tort cependant de voir, dans «Corydon» et l'exaltation qu'il contient de l'amour entre hommes, le moindre antiféminisme. Ce que dit Gide pour les mâles vaut pour les femmes.

Gide veut tout entier son livre contre cette « hypocrisie des nations » (p. 124) dénoncée par Balzac : « L'état de nos mœurs tend à faire du penchant homosexuel une école d'hypocrisie, de malice et de révolte contre les lois » (4e dialogue – p. 123).

Dans « Corydon », Gide laisse surtout éclater son vrai visage, son être à nu. Sa témérité dans la confession, on mesure encore aujourd'hui combien elle reste vivante. On constate combien Gide a eu raison de ne pas craindre de déboulonner sa propre statue. Son envergure se passait de socle. De ce besoin irrépressible de liberté qu'éprouva toujours André Gide – au titre individuel comme en ce qui concerne autrui – « Corydon » demeure, restitué à son temps, un extraordinaire témoignage.

■ Corydon, André Gide, Éditions Gallimard/Folio, 1993, ISBN : 2070383350


[1] L'Antigyde Ou Elie de Nacre, Francis Jammes, éditions Mercure de France, 1932


Lire aussi : Le « Corydon » vu par François Porché (1927) - La pédérastie de Gide vue par Ramon Fernandez


Lire encore : Les vicissitudes de Corydon, un article de Claude Courouve, avec l'aimable autorisation de son auteur


D'André Gide : Amyntas - Le retour de l'enfant prodigue - Isabelle - Le Prométhée mal enchaîné - Saül (Théâtre)

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