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Le citron, Mohammed Mrabet

Publié le par Jean-Yves Alt

Depuis les années 1960, Paul Bowles mit sa plume à la disposition de jeunes auteurs marocains tel Mohammed Mrabet. Bowles recueillit et transcrivit en anglais ce que Mrabet, illettré, lui racontait.

« Le citron » narre l'histoire mouvementée d'un garçon de douze ans, Abdeslam, qui vit sa vie dans une ville hautement colorée où se côtoient Arabes, Espagnols, Français, Anglais, juifs, musulmans, catholiques... Une sorte de 400 coups à Tanger !

Après avoir fui la maison paternelle, l'enfant est hébergé par un Marocain d'une trentaine d'années, Bechir, qui travaille sur les docks.

L'essentiel de ce roman captivant et sensuel, sera de savoir si l'adolescent, grand consommateur de kif, sera sodomisé par le brutal Bechir.

La fin de ce roman initiatique – où l'Orient et l'Occident se rencontrent – est violente.

« Bechir ne répondit pas ; il marcha de travers vers l'autre côté de la pièce et s'assit sur un coussin. Puis il dévisagea Abdeslam sans désemparer. Soudain il dit :

— Quand passeras-tu la nuit avec moi ?

Abdeslam le regarda :

— Bechir, je t'en prie, si tu veux que nous restions amis, ne me dis pas ces choses-là.

Bechir, railleur :

— Le pauvre petit serait-il déjà bouleversé ?

Le visage d'Abdeslam rougit :

— Je ne suis pas une femme. Pourquoi fais-tu de telles plaisanteries ? [...] Bechir se leva. Abdeslam aussi.

— Une de ces nuits, tu seras couché dans mon lit avec moi toute la nuit. Aussi vaut-il mieux que tu t'habitues à cette idée. Si je dois te forcer, tu ne l'apprécieras pas du tout. Tu viendras de ton plein gré. Alors tu aimeras ça.

— Jamais ! cria Abdeslam. Jamais tu ne pourras m'y forcer.

Quelqu'un frappa à la porte. Bechir ouvrit. C'était un des hommes qui travaillaient au port avec lui.

— Ahilan, Bechir ! Il entra et s'assit. Qui est-ce ? dit-il en désignant Abdeslam du doigt.

— Un ami à moi, dit Bechir en tendant à l'homme un paquet de cigarettes.

— Tu veux dire un ami intime ?

— Non ! cria Abdeslam, ce n'est pas vrai ! Ce n'est pas comme ça !

Peut-être pas encore, dit Bechir. Mais ça va le devenir, je te le dis ! Tôt ou tard, tu seras dans ce lit avec moi. Et lorsque tu t'y trouveras, souviens-toi de ce que je t'ai dit.

Il se tourna vers son ami

— Allons-y.

Bechir poussa l'homme dans la rue, le suivit et claqua la porte.

La maison était de nouveau silencieuse.

Abdeslam s'assit sur le divan et considéra le sol. Aicha désirait quelque chose lorsqu'elle l'avait embrassé pour la première fois. A présent, il comprenait que Bechir ne plaisantait pas du tout et que lui aussi voulait quelque chose. Il ferma les yeux et se souvint des paroles d'Aicha à Zohra : Bechir a l'habitude des garçons. Ça ne signifiait rien alors. A présent, il pensait : il en use avec les garçons comme avec les femmes. C'est ça. »

■ histoire recueillie et transcrite de l'arabe par Paul Bowles, éditions Christian Bourgois, 1989, ISBN : 2267008122

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Une zampogne pour départager Marsyas et Daphnis

Publié le par Jean-Yves Alt

Le personnage d'Apollon se reconnaît aisément grâce à ses attributs caractéristiques : arc, carquois et lyre. Le personnage de Marsyas, beaucoup moins.

Marsyas est un satyre phrygien. Les satyres, dans les premières représentations artistiques, montraient des personnages ayant les oreilles, les membres inférieurs et la queue d'un cheval.

Le Marsyas du Pérugin n'est pas représenté ainsi. S'agit-il alors d'un autre personnage ?

La représentation mi-hommes, mi-chevaux pour les satyres disparut avec le temps si bien qu'il est difficile d'affirmer que ce personnage de gauche n'est pas Marsyas.

Un autre détail permet de faire une nouvelle hypothèse : le jeune homme joue de la zampogna (zampogne), un instrument qui aurait été inventé par Daphnis.

Alors… ce tableau longtemps dénommé, « Apollon et Marsyas », pourrait représenter plutôt « Apollon et Daphnis », jeune pasteur mort d'amour pour Apollon.

Pietro Vannucci (dit Le Pérugin) – Apollon et Marsyas (Apollon et Daphnis ?) – 1495

Huile sur bois, 39cm x 29 cm, musée du Louvre

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Principe d'un travail de soi sur soi par Jean Paul Sartre

Publié le par Jean-Yves Alt

« L'important n'est pas ce qu'on fait de nous, mais ce que nous faisons nous-même de ce qu'on a fait de nous. »

Jean Paul Sartre

in Saint Genet comédien et martyr, éditions Gallimard, 1952

 

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L'amant de l'au-delà, Jean-Paul Sermonte

Publié le par Jean-Yves Alt

Ce roman est destiné à ceux qui sont amoureux de l'amour. L'histoire profonde, indélébile, c'est la passion de deux jeunes garçons de quatorze et dix-sept ans : Thierry et François, dans les années 60.

Les lettres qu'ils ont échangées (seconde partie du récit) sont très belles.

La première partie du roman est moins réussie : les multiples détours ont appauvri et altéré l'intensité du récit. C'est dommage.

Thierry, qui s'est suicidé à seize ans, appelle François au secours, de l'au-delà. Le narrateur, témoin et médiateur, part à la recherche de l'ami toujours vivant, gigolo à Paris.

L'amant de l'au-delà, Jean-Paul Sermonte

Pour que Thierry accède vraiment à la paix du ciel, il faut que « son » François change de vie.

La passion entre deux adolescents est encore aujourd'hui un très beau thème.

■ Éditions Textes Gais, mars 2015, ISBN : 979-1029400322

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Au Moyen Age, être homosexuel n'est pas tabou par Jean Verdon

Publié le par Jean-Yves Alt

L'amour courtois que manifestent les chevaliers envers les dames n'est qu'une façade tant les relations amoureuses entre preux guerriers sont loin d'être rares. Le milieu monastique pratique lui aussi l'homosexualité. En toute sérénité...

Pour les Anciens, l'homosexualité ne constitue pas un problème particulier. Ils pensent, en effet, selon des concepts autres que sexuels, à savoir la liberté, l'activité, la condition sociale. De sorte que l'homophilie active apparaît aussi bien dans les textes grecs que romains. Au cours du haut Moyen Age, l'homosexualité n'a pas été condamnée ni réprimée d'une manière aussi violente que les historiens le prétendaient autrefois. Grâce à la renaissance carolingienne, à l'essor des villes, au développement de la culture ecclésiastique, elle aurait même connu entre le XIe et le XIIe siècle un développement qu'elle ne retrouvera qu'à notre époque.

Il est bien évident que les milieux monastique et chevaleresque – les guerriers vivant bien souvent loin de la chambre des dames, et même s'ils connaissent des compensations hors de leur foyer – constituent des terrains propices à l'homosexualité. Saint Benoît, auteur d'une règle monastique célèbre, prend conscience du danger. Il indique que les moines doivent, si possible, dormir tous en un seul local. Une lampe brûlera toute la nuit dans la pièce. Les plus jeunes frères n'auront pas des lits voisins, mais seront répartis parmi ceux des anciens.

Si Charlemagne apprend avec stupeur que certains moines pratiquent la sodomie, il ne publie pourtant aucun texte réprimant l'homosexualité. Un édit conseille cependant aux prêtres et aux évêques de supprimer ce comportement sexuel sans indiquer de sanction. […]

Vers 1051, saint Pierre Damien compose Le Livre de Gomorrhe où il décrit de façon détaillée les différentes variétés de rapports homosexuels.

Il accuse certains prêtres d'être homosexuels et de se confesser entre eux pour éviter d'être repérés et bénéficier ainsi de pénitences plus légères. Le pape Léon IX refuse toutefois d'accéder à sa demande, à savoir les exclure de l'Église. L'homosexualité n'empêche d'ailleurs pas les promotions. Yves de Chartres signale au légat du pape, puis au pape lui-même, que l'archevêque de Tours, Raoul, a persuadé Philippe Ier, roi de France, de nommer un certain Jean évêque d'Orléans. Or, il s'agit d'un amant de l'archevêque. « C'est un être ignominieux dont la déshonnête familiarité avec l'archevêque de Tours et son frère défunt et avec beaucoup d'autres débauchés est publiquement honnie dans toutes les villes de France. Quelques-uns de ses camarades de débauches l'ont surnommé Flora [courtisane alors célèbre], et ils ont composé sur son compte des couplets qui sont chantés à travers la France, sur les places et aux carrefours, par de jeunes dépravés dont, vous le savez, notre pays est affligé », (traduit par dom Jean Leclercq). Le pape Urbain ne s'oppose pourtant pas à l'élection de Jean, consacré évêque en mars 1098. En Angleterre, le concile de Londres en 1102 insiste pour que dorénavant la « sodomie » soit considérée comme un péché à confesser. L'archevêque de Canterbury, saint Anselme, demande de ne pas publier cette décision, parce que ce péché a jusqu'alors un caractère si public que peu de gens en sont embarrassés ; beaucoup, ajoute-t-il, l'ont d'ailleurs commis parce qu'ils n'ont pas conscience de sa gravité. Lors de la réforme grégorienne qui impose le célibat aux prêtres, les contemporains notent que les prêtres homosexuels sont plus ardents que les hétérosexuels à le faire respecter. Un texte satirique, évoquant le cas d'un évêque réformateur homosexuel, signale que « les services d'une épouse le laissent indiffèrent ». John Boswell parle du « volume stupéfiant d'œuvres gays alors produites par les clercs ». Bien qu'il note que ces écrits vont de « l'épaisse sensualité » à « l'idéalisme sublime », il nous semble juger ces œuvres un peu trop avec le regard d'un contemporain sensible avant tout à l'amour comme passion humaine, donc charnelle.

Il n'en reste pas moins qu'Aelred, abbé du monastère de Rievaulx en Angleterre, a su exprimer de façon intense l'amour entre personnes du même sexe dans un cadre chrétien. Aelred est attiré par les hommes, et dans sa jeunesse il a sûrement eu des expériences d'ordre sexuel puisque dans une lettre à sa sœur, il parle de l'époque où elle garde sa vertu alors que lui-même perd la sienne. Devenu moine, il accepte de renoncer à toute relation sexuelle. Il y parvient avec peine mais n'en éprouvera pas moins de l'attirance à l'égard de deux moines faisant partie de son ordre. […]

Il faut toutefois se demander si cet amour implique des relations charnelles. Il semble bien, à en croire Yannick Carré, que l'amour masculin médiéval constitue une forme originale d'amour véritable que le monde actuel ne connaît plus. Les rites d'amitié, tels que se donner des baisers, partager le même lit, permettent à cet amour de s'exprimer librement lorsqu'il est charnel. […]

Jean Verdon

Professeur émérite des Universités, Jean Verdon est spécialiste de l'histoire des mentalités au Moyen Age. Il a notamment publié Les Loisirs au Moyen Age (Tallandier, 2e édition, 1996), La Nuit au Moyen Age (Perrin, 1994), Le Plaisir au Moyen Age (1996), et Voyager au Moyen Age (Perrin, 1998)

Historia Thématique : « Un Moyen Âge inattendu », n°65 (pp. 26 à 29), mai-juin 2000


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Du même auteur : Les sodomites condamnés à la simple pénitence ou au bûcher par Jean Verdon

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