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Le beau Dioclès par Callimaque de Cyrène

Publié le par Jean-Yves Alt

Verse encore, remplis la coupe et la brandis

Pour boire à celui-là que j'adore, et redis :

« A Dioclès » — Que l'eau ne souille pas ma coupe

Vouée au bel enfant. Son profil se découpe

Harmonieusement sous les cieux attiédis,

Que Dioclès est beau ! Bien beau. Si tu le nies,

Que la nuit pour le soir allume son flambeau

Qu'il règne sur l'azur des plaines infinies

Et je pourrai jouir, seul, de ce qui est beau.

Callimaque de Cyrène (IVe siècle av. J.-C.)

Traduction de Guillot de Saix

Arcadie n°103/104, juillet/août 1962

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La femme comme symbole de la vie plutôt que l'objet essentiel du désir par Hugo Marsan

Publié le par Jean-Yves Alt

« En Algérie l'éloignement des familles et la présence de la mort donnaient à notre existence des résonances particulières comme si nous avions vécu à l'intérieur d'un rêve. Qui oserait se souvenir aujourd'hui de ces hommes enlacés dans la nuit, leurs corps si jeunes parcourus des frissons de la peur et de la jouissance ? C'était un univers d'hommes qui avait l'avantage d'être imposé par la guerre. Je pouvais me délecter de cette virilité outrancière sous la bénédiction de mon rôle d'officier. Les femmes ? Les femmes n'existaient plus. Chacun de nous devait accueillir en lui une femme tendre et perdue. Bien sûr, elle ne s'exprimait qu'en termes de guerrier mais, si l'un de nous tombait malade ou succombait au cafard – ils avaient entre dix-neuf et vingt ans –, cette femme tendre se réveillait en nous, elle pouvait avoir les gestes de la mère, de la fiancée. Dans ce village perdu du Sud algérien, coupés du monde, encerclés par l'ennemi enfoui sous terre, nous osions accepter la part féminine de notre être. Accord tacite, silence protecteur. Nous sauvions les apparences quand le commandant montait au poste. Mais était-il dupe de cette vie de tendresse et de compassion masquée sous le treillis et le béret conquérants ? N'admettaient-ils pas, tous, du simple soldat engagé malgré lui au général sans illusions, n'admettaient-ils pas que se crée un univers d'hommes isolés où se répartissaient des rôles de femmes ? Temps précaire, tout serait gommé au retour à la vie civile. La mort nous projetait vers le plaisir comme elle aurait pu nous lancer dans une guerre forcenée. Tout dépendait de l'officier et de ses interdits secrets. Mais le plaisir entre hommes gagnait tout le bataillon. Ces groupes essaimés sur les pitons étaient propices à la sexualité, hors des conventions. N'étions-nous pas des morts en sursis ? La connivence générale des soldats, la mort qui terrorisait ces guerriers d'occasion abolissaient les lois morales. C'est pendant cette période que j'ai pu oublier ma mère, m'en détacher. J'avais le droit. Nous avions tous les droits. J'ai mesuré alors combien les hommes entre eux pouvaient abstraire la femme. J'ai compris que la femme était davantage le symbole de la vie, de la durée, de la procréation que l'objet essentiel du désir. »

Hugo Marsan

in « La femme sandwich » (Essai sur la vie des femmes en province), Editions Acropole, 1987, ISBN : 978-2735700615

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D'un trait de fusain, Cathy Ytak (2017)

Publié le par Jean-Yves Alt

Le sida n'est pas devenu un élément romanesque très présent dans la littérature jeunesse. Surtout quand il est associé à l'homosexualité. « D'un trait de fusain » est l'un des rares romans (voir aussi) pour la jeunesse qui intègre l'association Act Up. Cette fiction se déroule au début des années 90 sur une période d'environ six mois.

Le virus de cette maladie a modifié le comportement de tout le monde. Il a même changé la littérature, la musique, la culture d'une manière générale. Ce que Cathy Ytak a très bien saisi et retranscrit dans son roman : de Claude Sautet à Wim Wenders, de Barbara à Jimmy Somerville…

« D'un trait de fusain » parle du sida en ne véhiculant pas son lot d'angoisses, ni de ressentiments ni d'indignation. Avec ce roman, l'auteure évite tous les écueils de la littérature sur le sida, ou plus simplement de la littérature sur le deuil. C'est un roman tourné vers la vie.

Pas d'exhibitionnisme ni de règlements de comptes dans son roman. Pas d'accompagnement sans fin du mourant. Peu de jargon médical : juste la retranscription d'un prospectus « Sida, ce qu'il faut en savoir » (page 95).

Le sida ne tient pas lieu de personnage (même si le livre s'articule peu à peu autour de la disparition prochaine de Joos). Cathy Ytak se refuse à accorder à la maladie une place trop importante – comme si le sida pouvait être le seul décideur.

On distingue plusieurs voix dans ce roman même si l'écriture n'est pas basée sur la présence de plusieurs narrateurs. Il y a une jeune fille qui manque au début énormément de confiance en elle et qui va peu à peu se libérer des entraves produites par sa famille : Marie-Ange/Mary ; il y a aussi ses copains et copines du lycée d'arts graphiques : l'hypocondriaque et peu ouvert sur la différence : Julien ; le gay non encore déclaré : Sami ; la copine délurée et peut-être bisexuelle : Monelle ; il y a encore le beau jeune homme hollandais qui pose nu pour les cours de dessin : Joos (dont toutes les filles sont amoureuses mais qui sera séduit par le charme de Sami) ; il y a également, un ami de Monelle, militant à Act Up et qui va entraîner le petit groupe dans les manifestations et les « die-in » car il faut arrêter de se taire sur la maladie et ses effets : Nicolas.

D'un trait de fusain, Cathy Ytak (2017)

D'une certaine façon, le sida vu par Cathy Ytak n'empêche nullement un peu de romantisme et de sentimentalisme, contrairement à ce qu'affirmait Susan Sontag. Même si cette maladie entre encore aujourd'hui en association avec la mort.

« D'un trait de fusain » n'est donc pas tant un roman sur la mort annoncée de Joos qu'un roman tout entier envahi par la vie, jusque dans ses plaisirs les plus courts. C'est un roman tout en demi-teintes et en nuances (les couleurs y tiennent une belle place), qui jamais ne s'apitoie mais assène parfois des claques ou de l'ironie bien senties : quand Monelle recadre son amie Marie-Ange qui ne fait que décompter les jours de sa majorité pour être « libre », quand Mary joue à la « Marie-Ange du couvent des oiseaux » en disant à la CPE que Joos a sans doute été contaminé par une transfusion sanguine et que Monelle la rassure en lui répondant que « dans une guerre… on utilise les armes qu'on peut », quand Mary dit à Monelle de faire attention à ses gestes car elle pourrait croire qu'elle la drague…

Un roman qui n'oublie pas non plus d'être juste, jusque sur un lit d'hôpital, quand Mary réunit toute son énergie pour retrouver Sven, le premier petit-ami de Joos.

En refusant toute stigmatisation et sans tomber dans les pièges des thèmes trop viscéraux, trop exhibitionnistes, trop rageurs, trop vengeurs, Cathy Ytak a construit un roman à la fois drôle, émouvant et subtil, miroir de chaque vie.

Si "le rouge et le noir" des chaussures de Joos et de Sami sont les couleurs qui les unissent... la réussite de ce roman est la récompense de l'auteure. En possédant la capacité à rassembler la totalité d'une expérience humaine, à imbriquer tous les affects d'une vie et à extraire du sens du moindre fait sensible, Cathy Ytak s'impose comme une auteure majeure.

■ D'un trait de fusain, Cathy Ytak, Editions Talents Hauts, collection Les Héroïques, 253 pages, septembre 2017, ISBN : 9782362661976


Autres romans pour la jeunesse sur le thème du sida :

Paula Fox, Le cerf volant brisé, bisexualité – sida

Gudule, La vie à reculons, gay – sida – homophobie

Gudule, Aimer par cœur, sida

Christophe Honoré Tout contre Léo, gay – sida

M. E. Kerr, La nuit du concert, gay – sida

Daniel Meynard, Comme la lune, gay – sida

Marie-Aude Murail, Maïté Coiffure, gay – sida

Marie-Sophie Vermot, Mais il part..., gay – sida


Deux autres romans de Cathy Ytak et un livre d'entretien :

Rendez-vous sur le lac, Ed. J'ai lu Jeunesse : lesbien

50 minutes avec toi, Actes Sud Junior : gay, homoparentalité, homophobie

Lluis Llach : la géographie du cœur, Entretien par Cathy Ytak

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Les sentiments à l'adolescence par Fred Uhlman

Publié le par Jean-Yves Alt

« Je me rendis compte, à ma joie, à mon soulagement et à ma stupéfaction, qu'il était aussi timide que moi et, autant que moi, avait besoin d'un ami. […] Quand je le quittai, je courus sur tout le chemin du retour. Je riais, je parlais tout seul, j'avais envie de crier, de chanter, et je trouvais très difficile de ne pas dire combien j'étais heureux, que toute ma vie avait changé et que je n'étais plus un mendiant mais riche comme Crésus. »

Fred Uhlman

in « L'Ami retrouvé », traduit par Léo Lack, Éditions Gallimard, 1971

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L'Androgyne, d'hier à aujourd'hui…

Publié le par Jean-Yves Alt

La source originelle du mythe florissant de l'Androgyne remonterait au discours prononcé par Aristophane dans le fameux « Banquet » de Platon au cours duquel six personnages prennent tour à tour la parole pour faire, en respectant les règles immuables de la rhétorique classique, l'éloge d'Eros.

Dans la mythologie gréco-romaine, l'Androgyne prend une importance exceptionnelle, ce dont témoigne magnifiquement l'art statuaire : le corps de l'homme possède la plénitude arrondie du féminin tandis que la stature des déesses suggère une puissance d'essence masculine.

La Renaissance italienne en ressuscitant l'art antique restitue cette superbe ambiguïté des corps. Il est bien difficile de déterminer le sexe des personnages peints sur les tableaux de l'époque préraphaélite.

Ainsi, au XIXe siècle Péladan considérait-il le Saint Jean-Baptiste de Léonard de Vinci comme « l'androgyne incomparable, plus énigmatique que le sphinx ». Il est vrai que le voile subtil qui noie les contours donne au corps et aux traits du visage une langueur et une mollesse toutes féminines.

L'Androgyne, d'hier à aujourd'hui…

Narcisse par Gustave Courtois (1853-1923)

Marseille, Musée des Beaux-Arts

On observe également une résurgence du mythe antique dans la littérature dite « décadente » de la fin du XIXe siècle et dans certains romans contemporains.

Avec Peladan et Oscar Wilde, l'androgyne renaît de ses cendres et, se conjuguant, à des fins esthétiques, avec l'hermaphrodite, connaît un curieux avatar : le « dandy ». La beauté du Dorian Gray de Wilde ou du Des Esseintes de Huysmans tient à ce qu'il y a en eux de délicatement efféminé, ce qui est un ajout à leur virilité. Le dandy atteint la plénitude idéale en réunissant une essence masculine à une forme féminine. Le roman de Dominique Fernandez « Porporino » offre à l'androgyne une nouvelle incarnation, celle d'un castrat italien du XVIIIe siècle.

Roberta, le footballeur transsexuel et féministe du « Garp » de l'Américain John Irving est une énième mutation du mythe primitif.

Autrefois extérieur à l'homme, l'androgyne représente aujourd'hui une recherche intérieure, un but à atteindre, les catégories sexuelles préétablies s'étant affaissées. Rien d'étonnant à ce que Mick Jagger et David Bowie aient osé mettre en scène l'androgyne en lui redonnant – en devenant des stars adulées – son statut ancien d'idole.

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