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Ernest Pignon Ernest : un regard peut en cacher un autre

Publié le par Jean-Yves Alt

Cette œuvre, au sens du faire, est belle parce que mon émotion est de qualité. Je reconnais le dessin, l'image. Je découvre la technique, le sens immédiat. Je devine le sens caché, dérobé. J'inventorie les sens possibles pour moi, la mémoire des images, de mes images - autres, et des événements qui leur sont liés.

Les images d'Ernest Pignon Ernest m'enrichissent, je n'ai qu'à prendre dans ces œuvres qui sont "générosité", même dans la souffrance et la dénonciation, même dans la violence et l'horreur.

1980 : sérigraphie dans la ville de Certaldo [Toscane], après plusieurs jours d'exposition, inspirée par la peau d'écorché de saint Barthélémy peinte par Michel Ange pour Le jugement dernier à la Chapelle Sixtine

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Prick Up Your Ears, un film de Stephen Frears (1987)

Publié le par Jean-Yves Alt

Evocation de la vie du célèbre auteur dramatique anglais Joe Orton, assassiné le 9 août 1967 par son ami et amant Kenneth Halliwell, qui à son tour se donna la mort en avalant une forte dose de barbituriques. C'est en venant identifier les cadavres que l'agent littéraire Peggy Ramsay découvre le journal intime de Joe Orton...

Prick Up Your Ears s'ouvre sur l'issue fatale des amours de Joe Orton et de Kenneth. En commençant par la fin, en se débarrassant d'emblée de la mort, Stephen Frears peut ensuite éviter judicieusement une possible tentation de la tragédie permanente, qui aurait été en absolue contradiction avec la nature même du caractère de Joe.

Prick Up Your Ears apparaît, en réalité, plutôt comme la chronique dédramatisée d'un fait divers tragique dont la longue genèse a beaucoup plus les accents de la tragi-comédie. Avec raison, Stephen Frears n'a jamais surévalué l'intervention d'un inéluctable destin, même si peu à peu on s'aperçoit que ce couple terrible devait craquer un jour ou l'autre, car le succès de Joe renvoie inévitablement Kenneth à sa propre impuissance, interdit tout partage du succès, donc entame son désir de reconnaissance et hypothèque même jusqu'à son identité soudain rejetée dans l'ombre. A ce titre, le film pourrait être une moitié de tragédie : Kenneth seul ressent ce sentiment de tragique.

Cette dédramatisation du drame se traduit par un ton souvent très drôle, imprégné de la personnalité énergique, enjouée et jouisseuse de Joe. Tout ce qui est pour Joe occasion de jubiler est une souffrance pour son ami, sans qu'il en mesure d'ailleurs réellement la portée. Ces deux pôles de sensibilité ne cessent de se répondre tout au long du film, et trois scènes en particulier suffisent à illustrer cette situation insoluble :

- celle où Joe drague un homme qu'il suit jusque chez lui et à qui il impose la participation de Kenneth

- celle de la drague dans la pissotière où Kenneth, traîné là par Joe et emperruqué, est frustré de son plaisir d'une aventure furtive par l'arrivée intempestive des flics (notons au passage comment un lieu présenté souvent sous un aspect sordide peut changer de couleur quand Stephen Frears en fait le décor d'un épisode plus allègre)

- la scène enfin de l'évasion dans un Maroc présenté par Frears comme une gâterie de clichés homos, comme une parodie fantasmatique d'un lieu privilégié de la mythologie gaie

Dans les trois cas, ce qui est vécu par Joe avec spontanéité, optimisme et sens du plaisir provoque toujours chez Kenneth un sentiment de malaise, de frustration, voire de désespoir.

Après "My Beautiful Laundrette", qui s'attachait à montrer la construction d'un couple homosexuel dans un contexte hostile, "Prick Up Your Ears" renverse ici les données en montrant la destruction d'un couple séparé par trop d'incompatibilités fondamentales, dans un milieu pourtant, a priori plus libre, et moins en butte au tabou. Manière pour Stephen Frears de boucler, provisoirement, la boucle.

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L'autre sommeil, Julien Green (1931)

Publié le par Jean-Yves Alt

L'autre sommeil, court roman paru à la NRF en 1931, trace le portrait de Denis, enfant puis adolescent, menant une vie ni meilleure ni pire que dans des milliers de familles bourgeoises. La mort de son père, une délivrance, marque le véritable début de sa jeunesse.

Chaste à 15 ans, par froideur naturelle, Denis éprouve, un peu plus tard, la révélation du plaisir des sens.

« Avec des alternatives de froideur et des velléités de résistance, j'étais faible et sensuel. »

Il connaît les détours étranges de la passion : il croit aimer Andrée mais c'est Rémy, l'amant de celle-ci, qui le fascine.

« Rien de mystérieux comme le cheminement d'une passion dans un cœur sans expérience. »

A la faveur de la mort de sa mère, Claude, son cousin et compagnon d'enfance, réapparaît dans la vie de Denis et c'est comme si un barrage s'effondrait pour lui révéler son amour pour son cousin.

Ce portrait d'un jeune homme au cœur lourd, dont les rêves, les désirs et les peurs nourrissent une vie intérieure à la fois riche et terrible, est d'une constante émotion. L'émotion éternelle de l'amour que l'on tait, de la passion qui n'ose pas se dire et dont on conserve, sa vie durant, le poids triste et inutile.

Ce roman révèle « l'obsession du froid et la hantise du feu », dans un récit d'une noirceur psychologique tout à fait saisissante.

■ L'autre sommeil, Julien Green (1931), Editions LGF – Le Livre de Poche, 1997 (réédition), ISBN : 225314200X


Du même auteur : Frère François - Histoires de vertige - Moïra - L'expatrié - Epaves - Villes - Journal de voyage 1920-1984 - L’arc-en-ciel : journal 1981-1984

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Dieu lui-même n'en sait rien, Didier Denché

Publié le par Jean-Yves Alt

La culture apporte sur les différentes formes d'amour des regards très différents car elle a élaboré au fil des siècles une grille d'interprétation de faits qui n'appartiennent pourtant qu'à la nature : l'amour de l'homme pour la femme, tout comme l'amour des hommes entre eux, des femmes entre elles ou l'amour de l’homme pour les garçons.

Le roman débute sur la disparition d'un garçon de 13 ans, prénommé Émilien de Nanqueraye, et sur les différentes pistes suivies par les enquêteurs, l'enlèvement constituant l'hypothèse principale.

Parmi les personnages susceptibles d'avoir commis l'enlèvement du garçon figure d'abord son professeur de piano, un être sensible et introverti, Cédric Bénouzet. Celui-ci ne cherche pas à nier son intérêt pour les jeunes garçons, au contraire : il revendique cette forme d'amour, mais nie être impliqué dans la disparition d'Émilien. La gendarmerie en vient même à solliciter l'aide d'un spécialiste de la « question paidéraste », le médecin, Philippe Sourphères.

L'enquête est perturbée par l'apparition de géoglyphes ou cercles de culture. Leur concomitance avec la disparition d'un autre adolescent, Sven Valèques (17 ans) après celle d'Émilien est-elle fortuite ?

Deux personnages de « La Friponnière », précédent roman de Didier Denché, y refont leur apparition. Bien sûr, les gendarmes vont traquer des amoureux de garçons présents dans la région où habite Émilien au moment de sa disparition. L'un d’eux est un roboticien japonais qui a déposé un brevet de robot : un « garçonnoïde » ayant toutes les qualités d'un bel adolescent et doté d'une intelligence artificielle étendue aux dimensions morales. Un robot pour satisfaire les inclinations amoureuses et sexuelles des paidérastes.

Ce roman dépasse largement le genre « polar ». Il serait plus juste de le rapprocher (non pas par la langue utilisée) des écrits philosophiques tels qu'ils existaient au XVIIIe siècle. Chaque très court chapitre débute d'ailleurs par une épigraphe qui date très souvent de cette époque.

« Si nous ne faisons pas attention à l'objet que nous regardons, nos yeux ont beau s'ouvrir, nous n'apercevons rien, parce que c'est l'âme qui voit, et non l'œil. » (p. 77)

Louis-Antoine de Caraccioli, La jouissance de soi-même

Dieu lui-même n'en sait rien, Didier Denché
Dieu lui-même n'en sait rien, Didier Denché

Ce roman peut aussi être lu comme un conte fantastique qui suggère que l'amour des garçons va beaucoup plus loin qu'une découverte de la face secrète du désir, vers de nouvelles formes de relations, d'amour, de création. Ce roman est ainsi révélateur d'une autre conscience, en marge des stéréotypes sur le temps qui passe, l'instant qu'il faut saisir, la prédestination à laquelle nul n'échappe, l'absurdité du monde ou la survie dérisoire des morts, comme si ceux qui aimaient les garçons voyaient, pensaient, célébraient autrement le monde, et d'une manière plus claire, plus critique, c'est-à-dire plus lucide, car l'ordre mortel n'est qu'un leurre. À chacun de consentir à son propre enfer.

Le savant japonais Yukio Adokenaidesu est un libertin au sens philosophique du terme, tant il devine que l'amour des garçons apparaît comme un acte volontaire, un choix de conscience existentiel. Il sait explorer le moi dans ses replis les plus secrets. Il souhaite avec son travail pouvoir exalter avec délices cet amour des garçons, jusqu'à ce qu'il explose en vertiges oniriques. Il estime que la « barrière légale coercitive qui punit les passages à l'acte appelés étrangement "abus sexuels" [est] non seulement inefficace […] mais pousse au contraire à des actes incontrôlés dont le viol et […] l'homicide » (p. 46). Son amour des garçons l'oblige à définir – à travers son « garçonnoïde » une poétique moderne, capable de rendre au plus près ses impressions, de composer des instants. Le propre de ce savant est de vivre sans arrêt dans l'instant et sa réalité. Il pose ainsi finalement un questionnement sur la morale sexuelle, avec cette question : pourquoi les hommes ont-ils fait de la sexualité une expérience morale ?

Le lecteur pourra deviner que le travail de cet ingénieur japonais est la clef de voûte d'une vie somme toute solitaire, sensible et pleinement vouée au concret du quotidien, au plaisir d'exister contre tout et contre tous, parfois contre lui-même.

« Profonde est la solitude de millions d'êtres qui, avec un cœur débordant d'amour, n'ont personne pour les aimer. Profonde est la solitude de ceux qui dans, leurs chagrins secrets, n'ont personne qui les console. Profonde la solitude de ceux qui, luttant contre doutes et ténèbres, n'ont personne pour les conseiller. Mais plus profonde que la plus profonde de ces solitudes est celle qui couvre l'enfance sous l'aile du chagrin, lui faisant entrevoir par moments la solitude finale qui la guette et l'attend aux portes de la mort. » : cette citation de Thomas de Quincey (figurant en épigraphe d'« Histoires de vertige » recueil de nouvelles de Julien Green), pourrait être une ultime épigraphe de ce roman de Didier Denché.

Même si les réponses à toutes les interrogations que pose ce roman, Dieu lui-même n'en sait rien.

■ Dieu lui-même n'en sait rien, Didier Denché, Éditions Quintes-Feuilles, 178 pages, novembre 2018, ISBN : 9782955139967, 22€

Lire un entretien de Didier Denché, à propos de ce roman, sur le site des éditions « Quintes-Feuilles »


Du même auteur : La Friponnière

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Le livre pour enfants de Christophe Honoré

Publié le par Jean-Yves Alt

Ce livre, malgré son titre, n'est pas pour les enfants. Christophe Honoré explore de nombreux thèmes qui lui sont chers : les relations avec son père, son décès au cours d'un accident de voiture alors qu'il avait tout juste quinze ans, son rapport à la littérature, au cinéma (il s'agit là d'un journal a posteriori du tournage de son film "Ma mère" adapté de Georges Bataille), à l'amour… le tout avec de nombreux moments d'émotion qui m'ont, plus d'une fois, bouleversé.

A faire cette liste des thèmes abordés, on pourrait croire à une écriture informe et nombriliste.

Ce qui n'est absolument pas du tout le cas :

■ D'une part parce qu'une grande sincérité court tout au long de l'ouvrage (Christophe Honoré se montre le plus souvent féroce avec lui-même), avec des affirmations fortes sur :

- sur le mensonge et la vérité : j'ai été ému par la déception de l'auteur encore enfant quand il entend son père prétendre être médecin (pour secourir quelqu’un) alors qu'il n'est que prothésiste dentaire.

- la littérature et notamment une réflexion très personnelle sur l'autobiographie, telle que l'auteur l'analyse aujourd'hui

"Je n'ai pas signé de pacte autobiographique parce que j'ai appris combien écrire sur les gens qui constituent votre vie est une violence démesurée, non pas écrire sur les gens, mais raconter ce qu'ils ont fait, rendre compte de leurs actes, du temps passé ensemble." (page 100-101)

- l'amour filial et "amoureux"

"[…] on tombe amoureux tout simplement parce qu'il était temps, et que pour l'autre aussi, il était temps, et que ces deux temps se joignent un moment et se mettent à écrire une histoire, parce que tomber amoureux c'est bien ça, c'est se mettre à écrire une histoire..." (page 97)

■ D'autre part parce que cet ouvrage tourne autour d'un livre pour enfants, une sorte d'autobiographie de ses 10 ans, que Christophe Honoré n'a jamais achevée (qu'il traîne comme un vrai boulet depuis plusieurs années ?). Il en livre (pages 34 à 50) les douze pages, qu'il juge comme une « épave minable » alors qu'il rêvait d'un monument. Il regrette même de n'avoir pas pensé au titre que Christophe Donner donna à l'un de ses livres : Mon dernier livre pour enfants.

J'ai apprécié la façon dont Christophe Honoré s'adresse à ses lecteurs, je devrais plutôt dire à son lecteur, puisque je me suis perçu totalement comme son (unique) confident même si, comme il le précise, la "légitime demande" du lecteur n'autorise pas tous les aveux.

Nulle complaisance dans ces notes : j'ai senti, tout au long de ma lecture, un auteur, (qui utilise admirablement l'ironie) à la recherche d'un livre où le vrai pourrait avoir sa place, une sorte de livre idéal qui aurait dépassé sa simple déclaration d'intention. Un regard d'adulte que j'aimerais pouvoir porter sur ma propre vie.

■ Le livre pour enfants de Christophe Honoré, Editions de L'Olivier, août 2005, ISBN : 2879295033


Lire des extraits : 1 - 2 - 3 - 4 - 5


Lire aussi : Tout contre Léo, un film réalisé par Christophe Honoré


Du même auteur : Tout contre Léo - Mon cœur bouleversé - Noël, c'est couic !

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