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Lawrence et les Arabes de Robert Graves

Publié le par Jean-Yves Alt

Thomas Edward Lawrence (1888-1935), qui est devenu un personnage de légende sous le nom de Lawrence d'Arabie, était-il homosexuel ?

Lawrence a-t-il aimé les hommes ? Sa quête d'un idéal à travers l'aventure exotique, la fascination qu'il éprouva pour la civilisation musulmane arabe, son implication exaltée dans la révolte arabe contre l'occupant turc, l'amitié passionnée qu'il partagea avec le jeune chef arabe Fayçal, puis de retour dans son pays, son impossibilité à vivre l'existence ordinaire d'un Anglais sédentaire (il s'engagea sous un faux nom comme simple soldat dans la R.A.F, puis dans le Royal Tank Corps), dessinent une biographie de la fuite où il est impossible de repérer le moindre attachement à une femme et qui suggère qu'il fut homosexuel.

La vérité n'est pas si simple. Disons-le clairement, la biographie, écrite en 1927 par son ami Robert Graves : "Lawrence et les Arabes", ne dévoile rien. Écrite au début du siècle, vérifiée par Lawrence lui-même, publiée du vivant de la mère, il est évident que toute allusion à l'homosexualité est écartée. Il n'en reste pas moins que cette étude très documentée est exceptionnelle et relate avec objectivité et une grande finesse d'analyse l'épopée arabe de Lawrence.

Dans sa préface à la réédition, Roger Stéphane rappelle que le fameux livre : "Les sept piliers de la sagesse" est dédié à Sheik Ahmed. « Je t'aimais ; c'est pourquoi, tirant de mes mains ces marées d'hommes, j'ai tracé en étoiles dans le ciel / Afin de te gagner la Liberté, la maison digne de toi, la maison aux sept piliers : ainsi tes yeux brilleraient peut-être pour moi / Lors de notre arrivée. »

Mais le mot «aimer» implique-t-il ici une expérience sexuelle ? C'est ce que tente de préciser une courte postface de Michel Le Bris : «Sur l'homosexualité de T.E. Lawrence».

Pour Michel Le Bris la quasi-unanimité s'est faite quant à une homosexualité concrète de Lawrence par réaction à ce que l'on crut une falsification de la réalité. Les dernières études faites sur l'œuvre et la personne de Lawrence montreraient que cette version n'est peut-être pas la bonne non plus : «Qu'il "en fût", cela semble aujourd'hui ne plus faire de doute pour personne - sauf, et c'est là que le bât blesse, pour tous les spécialistes (...) La vérité, bien plus troublante, à tout prendre, que la légende (...) semble être que Lawrence n'était pas non plus hétérosexuel.» Lawrence aurait laissé entendre n'avoir jamais eu de rapports sexuels.

Suivent quelques documents et notamment des lettres que Lawrence écrivit à son ami Forster, l'auteur de Maurice, dont l'homosexualité était notoire. Très librement semble-t-il, Lawrence lui avoue à propos du viol dont il aurait été la victime : «Comme vous le savez probablement (ou comme les retenues des Sept piliers vous l'auront fait deviner) c'est cela que les Turcs m'ont fait, de force. Et depuis je n'ai cessé de pleurnicher sur moi-même. Souillure, souillure. Maintenant, je ne sais plus. Peut-être faudrait-il voir les choses sous un autre angle, comme vous le faites, je crains de ne jamais le pouvoir. L'élan assez puissant pour m'amener à toucher une autre créature n'est pas encore né en moi...» Il écrit ceci en décembre 1927. Il a trente-neuf ans ! Il meurt dans un accident de moto le 13 mai 1935.

À un autre ami, il écrit le 26 mars 1929 : «Il va de soi qu'on est toujours seul avec soi-même, mais il n'empêche que voir dans la rue un autre aviateur, c'est un peu (pour moi) apercevoir un autre bateau sur la mer. Tout à coup la mer cesse d'être un désert.»

Il passera les dernières années d'une vie brève dans la compagnie des hommes, hors des conventions, dans les lieux fermés de la discipline militaire.

Pourquoi ne pas croire Michel Le Bris qui s'appuie sur les derniers documents connus et sur la vérification de la véracité historique des "Sept piliers de la sagesse" et admettre que Lawrence est mort vierge ? Le culte de la virilité et sa tragédie solitaire.

■ Lawrence et les Arabes de Robert Graves, éditions Payot/Petite bibliothèque, 2002, ISBN : 2228895938


Lire aussi : « Les sept piliers de la sagesse » dédié au jeune arabe Salim Ahmed - Thomas-Edward Lawrence, masochiste ?

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Déréliction par Fantin-Latour

Publié le par Jean-Yves Alt

Deux femmes sont assises dans un salon. L'une lit. L'autre semble prêter l'oreille.

A observer plus attentivement ce tableau, il est impossible de savoir si cette dernière est en état réel d'écoute.

Dans ce tableau, Henri Fantin-Latour, a isolé psychologiquement ses « modèles » – instaurant non seulement une distance entre eux mais aussi avec moi – ce qui me remémore ma solitude et mon propre manque de communication.

Henri Fantin-Latour, La lecture, 1877

Huile sur toile – 97 cm x 130 cm – Musée des Beaux Arts de Lyon

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Le jeu de la rue du Loup, Hervé Claude

Publié le par Jean-Yves Alt

Art, un jeune comédien, quitte l'Europe et s'installe à Toronto. Il fuit le succès que lui a valu son personnage dans un téléfilm, mais va devenir le héros d'un jeu de rôles hanté par la mort.

"Le jeu de la rue du Loup" est un récit à faire peur mais aussi une enquête intérieure sur les camouflages de l'identité.

Art ne dévoile pas son passé. A travers l'histoire qu'il raconte à la première personne, ce sont ses amis que le lecteur découvre, ou du moins ce qu'ils donnent à voir de la comédie qu'ils lui jouent. Son ami George vit avec un homme, Philip, à quelques mètres de sa femme Alice et de leurs deux enfants. Art est logé dans la maison de Nick, un autre ami de George, parti en voyage. Art ne l'a jamais rencontré. Et il y a Jivaro, un homosexuel («son plaisir venait entre la violence et la peur») qui l'entraîne dans les lieux dangereux de la drague :

« Je crois qu'il pensait que j'étais gai... J'ai souvent cette réputation parce que les gens me voient toujours seul, que je le suis, que je n'ai jamais eu de liaison très sérieuse avec une femme. J'aime bien que les gens se fassent une autre idée de moi-même, qui pourrait être vraie, puisque j'ai un physique passe-partout, pourquoi pas ? Tout le monde peut me modeler à sa guise, chacun peut choisir ma sexualité. »

Neutre, Art devient l'enjeu d'un complot dont il ignore les mobiles. En dépit de leur prévenance, ces gens branchés le manipulent.

Le roman s'ouvre sur un aveu qui brise un terrible tabou : Art vient d'être violé mais n'identifie pas son agresseur. Vers quels abîmes veut-on le précipiter ? Pour quelles raisons secrètes est-il la proie d'une étrange machination ?

Avec la même rigueur implacable qu'un film de Hitchcock, le "Jeu de la rue du Loup" happe lentement le lecteur dans un suspense insidieux. Philip, puis Jivaro meurent. Accident ? Meurtre ? Un assassin rôde. Est-ce parce que Art ressemble à ce Nick dont il emprunte l'appartement et les vêtements, ce Nick absent dont l'image s'impose obsessionnellement ?

Le mystère de Art est à la mesure de l'intrigue. Art est à la recherche de lui-même. Jeune adolescent, il a connu la jouissance dans les bras robustes du sombre amant de sa mère. Plus tard, l'homme mourait dans un accident de voiture. S'est-il cru coupable de cette disparition ?

L'atmosphère du roman naît de l'angoisse cachée de Art. Hervé Claude rend cette peur d'autant plus cruelle que la ville est paisible, les mondanités de bon ton, et que ses amis sont des privilégiés qui ont le temps d'écouter leurs désirs et de les satisfaire. Pourquoi alors cette amertume et ce désespoir latents ?

L'originalité du roman est d'organiser le récit autour d'un homme, tendre et vulnérable, amoureux de lui-même, romantique, loin du macho et du don Juan, épris de paix, essentiellement seul, capable d'aimer un homme ou une femme qui lui donnerait l'illusion de trouver enfin son double, à l'orée d'un avenir inquiétant et sans repères. Il sera trahi par ceux-là mêmes qui semblent pourtant réussir ce que lui-même recherche : des marginaux de luxe, gays et lesbiennes, des femmes libérées.

"Le jeu de la rue du Loup" est un très beau roman, une fable cruelle sur un homme qui croyait au bonheur.

■ Le jeu de la rue du Loup, Hervé Claude, éditions Flammarion, 1992, ISBN : 2080665960


Du même auteur : Conduite à gauche

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Les enfants Tanner, Robert Walser

Publié le par Jean-Yves Alt

Au centre de l'histoire, Simon, un garçon de vingt ans à la recherche de son individualité et de sa sexualité : roman des errances et de l'ouverture au monde d'un curieux adolescent.

Le romancier Robert Walser (1878-1956) a été, à lui seul, un monde, un conte, un poème si l'on veut. Tout entier voué à l'ambition de n'être rien en rien afin d'être quelque chose, Walser a toujours opté pour le monde du dessous. Quelques écrivains et non des moindres, Kafka, Musil, Zweig, signalèrent son talent, mais rien n'y fit : Walser tenait à stationner à l'écart du monde, à envisager la vie sous l'angle le plus humble, jusqu'à être transféré pour le restant de ses jours dans un hôpital psychiatrique.

Les enfants Tanner est comme la prémonition de ces sombres années. Simon Tanner le contemplatif, jeune page aux désirs enflammés, choisit de ne pas grandir trop vite, de conserver un état qu'il voudrait originel.

Il y a infiniment de tendresse dans ces jeux de miroirs d'un garçon de vingt ans qui interroge son individualité et sa sexualité, ne veut pas être aimé et recherche un emploi pour le quitter aussitôt trouvé, avant de revenir frapper interminablement à la porte de son employeur.

Simon, exclu d'une participation normalisée à la réalité, en s'effaçant à tout prix, en disparaissant de la scène sociale et amoureuse, révèle-t-il un versant optimiste de la vie ?

Car Simon erre en quête de vérités fuyantes. Il s'invente son existence à mesure qu'il la défait. Les blessures de son sevrage douloureux lui sont-elles toujours bénéfiques ?

Pour Simon Tanner, le monde est une mère en colère qu'il aime à la folie mais qui veut sa punition. Il se réfugie dans une autarcie passionnelle avec son frère – toujours au détriment de la véritable relation amoureuse, qui n'est qu'un rêve.

Innocent et sans audace sexuelle, Simon – garçon inachevé qui réclame toujours d'être aimé par tous et toutes – n'est pas très doué pour les étreintes et ses progrès en amour sont assez lents car, pour lui, l'expression du désir reste plus forte et plus pure que sa réalisation qu'il suffit d'imaginer.

La passivité extraordinaire de Simon face au monde – en renvoyant les gens à eux-mêmes – ne serait-elle pas plus efficace que la réplique ?

■ Les enfants Tanner, Robert Walser, éditions Gallimard/Folio, 1992, ISBN : 2070385175

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Henri III, roi shakespearien de Pierre Chevallier

Publié le par Jean-Yves Alt

Il supprima les braguettes des hauts-de-chausse, pour oublier qu'il était un homme, il se faisait appeler Sa Majesté pour qu'on parle de lui au féminin...

Pourtant, l'image que Pierre Chevallier donne d'Henri III est bien différente de celle d'un prince débauché totalement absorbé par ses plaisirs. Ainsi l'auteur propose de parler à son sujet, plutôt que d'homosexualité, d'une tendance au transsexualisme pour rendre compte de son goût des toilettes extravagantes.

Viril, Henri III aurait été outrageusement viril : à tel point que son ardeur à l'ouvrage, selon les ambassadeurs vénitiens de sa cour, était la vraie cause de sa stérilité. « Il transmet la semence pendant le coït avec plus de rapidité qu'il ne faut pour pouvoir engendrer », assuraient-ils, et son médecin dut lui donner du lait d'ânesse pour modérer sa vigueur.

Mais alors, que dire des atours féminins dont on le vit plus d'une fois paré ? La robe de damas rose et argent, les bijoux, les parfums, le corset, les folies de Chenonceau ? Force est d'y reconnaître un « indéniable attrait » pour les charmes de la féminité. « La question se pose, suggère Pierre Chevallier, de savoir s'il n'y a pas eu chez le roi une tendance transsexuelle inconsciente. » Foin du mythe du roi homosexuel, « un inverti psychique pur », qui ne toucha jamais que sa femme et ses maîtresses, voilà ce qu'il était.

Et les mignons, archimignons ? Pierre Chevallier démontre que le choix des ducs d'Epernon et de Joyeuse pour favoris répondait essentiellement à des raisons politiques - seules les mauvaises langues soulignent qu'il s'agissait des jeunes gens les plus séduisants de la cour.

Quant aux innombrables témoignages contemporains, il ne s'agirait que de calomnies. Attaqué sur sa droite par la Ligue et sur sa gauche par les Huguenots, Henri III ne suscitait que pamphlets haineux et orduriers que l'historien repousse d'un pied dédaigneux.

Et si ces « régents et pédants de collèges imbus de grec » sont obsédés par la sodomie, n'est-ce pas qu'eux-mêmes sont « adeptes de l'amour socratique et donc enclins à prêter à leur adversaire leurs propres mœurs » ?

EXTRAIT : Ainsi, tout servait de prétexte pour discréditer Henri III. Si ses ennemis n’avaient voulu que défendre les bonnes mœurs, pourquoi ne trouve-t-on dans la collection de pasquils et de poésies licencieuses, si complaisamment recueillis par L’Estoile, rien de relatif aux mœurs de Monsieur dont pourtant l’orthodoxie paraît bien avoir été plus que douteuse ? Serait-ce parce que L’Estoile, qui avait quelque penchant pour la réforme, a préféré passer sous silence tout ce qui pourrait nuire au crédit d’un prince qui avait souvent uni sa fortune à celle des huguenots ?

En conclusion, que les mignons du roi aient été des hommes à femmes et ardents au déduit amoureux, il n’est pas inutile, avant de produire des textes inédits qui le prouvent, de recueillir sur eux l’opinion de Michelet : « Puisque ce mot de mignon est arrivé sous ma plume, je dois dire que je ne crois ni certain ni vraisemblable le sens que tous les partis, acharnés contre Henri III, s’accordèrent à lui donner. » Mais plus que l’autorité d’un citoyen aussi perspicace et honnête que Michelet malgré ses partis pris et ses préjugés, ce qui emporte la conviction sont d’authentiques documents.

C’est le cas de la correspondance de l’agent à Paris du cardinal Louis d’Este, protecteur des affaires de France à la Curie pour les années 1585-1586. Conservée aux archives vaticanes dans le fonds de la Nonciature de France (volume 285), elle contient de précieux détails. Le 17 août 1585, le comte Giglioli écrit ces lignes révélatrices : « Le roi a mené ces jours passés à Limours une vie qui a donné à dire à tous, étant resté en ce lieu, six jours continus, avec quatorze putains. Ils ont fait ce qui peut se faire et c’est une chose publique dans toute la Cour. » En marge, au folio 20, une main a écrit : « Vita lasciva regis » (Vie dissolue du roi). Ce texte se trouve confirmé plus discrètement par L’Estoile : « Le 4 août, le roi étant parti d’Etampes pour s’en venir à Paris passe à Limours, où le duc de Joyeuse, son beau-frère, le reçoit honorablement et traite humainement en compagnie de femmes et filles de toutes façons. » L’expression « de toutes façons » vaut bien les quattordeci puttane du texte italien. Mais, il y a mieux encore, et le 25 août, l’agent du cardinal récidive. Après son séjour à Limours, Henri III pensait s’arrêter quelques jours à Fontenay-en-Brie, maison de plaisance d’Epernon. Or, écrit Giglioli, « le voyage de Fontenay a été rompu, parce que d’Epernon a dit résolument au roi qu’il ne voulait pas, que chez lui, se fasse le bordel qui s’était fait chez Joyeuse ». [pages 438-439]

■ Henri III, roi shakespearien de Pierre Chevallier, Editions Fayard, 1985, ISBN : 221301583X


Lire aussi : Henri III, mort pour la France

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