Sur l'homosexualité comme péché : la leçon de Michel-Ange à l'Eglise par Michel Masson
« […] L'Eglise s'est grandie en se repentant tardivement - du mal qu'elle a causé aux juifs, aux protestants, à Galilée. Sans doute serait-il temps, à propos du péché "contre nature", qu'elle médite la leçon laissée par Michel-Ange dans le plus haut lieu du catholicisme, la chapelle Sixtine.
Tout autre que ce titan emploierait de longues démonstrations pour ruiner l'argumentaire de l'homophobie catholique.
Il dirait que les prescriptions de l'Ancien Testament ne sont plus contraignantes depuis que Paul de Tarse, au nom de l'Esprit, contre la lettre, a délié les chrétiens de la circoncision et des interdits alimentaires. Il dirait que les interdits prononcés par Paul de Tarse lui-même sont eux aussi relativisés : nul ne prétendrait plus aujourd'hui que "la femme doit se taire dans les assemblées", que "les esclaves doivent servir leur maître avec respect" ou "qu'il n'y a pas d'autorité qui ne vienne de Dieu" ? Il dirait encore que la sempiternelle référence aux lois de la nature suppose qu'on les connaisse indubitablement alors qu'on sait bien que, toujours pour citer Paul de Tarse, "la science disparaîtra, car partielle est notre science..." et que, s'il est vrai que l'acte sexuel "ouvre au don de la vie", rien ne prouve qu'il se limite nécessairement à cela.
Il pourrait ajouter que tous ces adeptes du célibat, qui choisissent de contrer la nature, sont mal placés pour reprocher à d'autres leurs mœurs "contre nature" et qu'ils oublient bien vite que le christianisme est par nature contre nature puisque ce qui précisément fait sa grandeur, le pardon des offenses, consiste à briser le mouvement premier de la nature.
Non, Michel-Ange, lui, dédaigne le réquisitoire. Depuis le sanctuaire qui porte ses fresques il proclame le triomphe de l'Amour, dont la plus haute manifestation est celle du don et de l'abandon du Christ en Dieu : "Que Ta volonté soit faite." […]
Si nous faisons l'effort - certain - de regarder, il nous montre aussi que, par le don et l'abandon, l'homme peut se rapprocher de cet idéal. Pour nous convaincre, dans un parcours initiatique qui retrace l'histoire du Salut depuis la création jusqu'au Jugement dernier, il concentre notre attention sur tout un peuple de jeunes gens nus pris dans cette Histoire, les ignudi et, si nous osons voir, nous découvrons que l'éphèbe qui se donne charnellement joue le rôle de modèle : en se donnant de son propre gré, se faisant, si l'on ose dire, activement passif, il devient la préfiguration la plus achevée de l'amour christique. Inversement, le Christ est l'éphèbe par excellence […]
L'homosexualité s'impose ainsi comme voie mystique et même comme la voie mystique par excellence, non par argumentation besogneuse mais comme corollaire au primat de l'Amour […]
Le message du grand homme devrait inspirer de l'humilité aux petits hommes perclus de certitudes et de haine et les aider à découvrir qu'ils sont sans doute trop catholiques et pas assez chrétiens. Leur aveuglement suscite assurément beaucoup de compassion. Qu'ils aillent donc à la Sixtine et que les ignudi leur montrent la Lumière. Puissent-ils les préserver du péché contre l'Esprit ! »
Le Monde (Extrait), Michel Masson, 16 octobre 2005
Michel Masson est professeur émérite d'hébreu à l'université Paris-III.