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Le quatrième homme, un film de Paul Verhoeven (1982)

Publié le par Jean-Yves Alt

Le quatrième homme est une révélation, de bout en bout.

Il est essentiel de ne pas rater le générique qui noue en gros plan les sciences naturelles - et le surnaturel : une ignoble araignée arpente un Christ en croix, y ingère un coléoptère expiatoire. Toute mante est religieuse, comme le suggère si bien la langue. L'image s'élargit bientôt sur un homme flageolant, plus nu que le Crucifié en personne, mais certainement moins sobre, lequel va se raser un étage plus bas, et fantasme l'assassinat de son ennuyeux petit copain violoniste : il l'étrangle en pensée avec un soutif de dentelles noires, un ceinturon... Et finalement, arrive à lui emprunter la voiture.

Le ton est donné : sexe, violence, mysticisme aigu. Le réel a même statut que l'imaginaire. Tout est possible, dans la tête du héros : l'image ne nous privera pas de ses divagations morbides. L'homme, sous les traits du comédien Jeroen Krabbé (excellent) se révèle être un écrivain, brillant et fauché, catho pour faire bonne mesure. Sur le chemin, Gérard Reve (c'est son nom, emprunté à l'auteur dont le film est l'adaptation) mate un très beau gosse en débardeur, genre prolo craquant. Trop tard pour lever le gibier, le train pour Köln déjà l'emporte au loin. Dépité, Reve ira faire sa conférence devant un public de mamies, qu'il provoque à plaisir : « Etre catholique, c'est avoir de l'imagination. »

De fait, le film dérape dans l'onirisme blasphématoire : le compartiment de chemin de fer s'empare du pire cauchemar hôtelier ; à l'arrivée, il croit lire son nom sur le ruban d'une couronne mortuaire ; il s'envoie en l'air, plus tard, avec la trésorière de la société littéraire. Il lui dit : « Tu ressembles à un beau garçon » et jouit, les mains aplatissant ses seins, en criant « Jésus-Marie. » Elle fait aussi profession d'esthéticienne : aussitôt il se rêve castré par son ciseau de pédicure, pris au piège du Beauty Salon. Ses visions ne le lâcheront pas d'une semelle : caveaux, bœufs écorchés pendus à des crocs de boucherie... Tout est menace, toute séquence peut incongrûment glisser dans l'horreur.

Le génie stupéfiant du film, c'est de maintenir le péril du fantastique autour des faits concrets, mais parfaitement ordonnancé à la logique paranoïaque. Tout se tient, mais dans un ordre rigoureusement fantasmatique. "Le quatrième homme" est donc moins un film sur le désir, que le film du désir lui-même, dans ses parcours mentaux : pulsions, inhibitions, tabous, transgressions. Un film organique, chauffé à blanc, sans artifice.

Il n'y a pas d'autre fil conducteur à cette histoire méandreuse que celui de l'inconscient. D'où cette sorte de touffeur apparemment gratuite, qui débride le scénario de toute attache vraisemblable, mais l'ancre dans des référents religieux, culturels et scientifiques. Tandis que la mère androgyne et abusive le bichonne, l'entretient, il découvre en elle une veuve vorace, qui a pris le jeune gars du train pour amant. « Quel corps... quel morceau. », souffle-t-il, devant sa photo. Dès lors, Gérard Reve ne songe plus qu'à utiliser la libido de la femme pour avoir le corps du garçon. Elle lui avoue qu'Herman, le pauvre petit, est affecté d'éjaculation précoce : l'écrivain, bonne âme, se proposera de l'en guérir... Christine - féminisation du nom du Christ - ramène donc son plombier-gigolo de Cologne. Et voilà Herman, contre toute attente, qui se prête au jeu de la séduction et s'offre à lui... au fond d'un caveau : « Jamais personne ne m'a parlé comme ça. », soupire l'adolescent.

Gérard, quant à lui, se sera d'abord branlé devant la serrure, en observant le bel ouvrier sauter la bourgeoise fatale. Dans une hallucination supplémentaire, il aura visionné son giton en crucifié, vêtu d'un seyant maillot de bain rouge aussitôt descendu aux chevilles… Attouchements prémonitoires, interrompus, comme il se doit, par l'arrivée de la veuve joyeuse (et jouisseuse) dont, entre parenthèses, l'écrivain a fini par découvrir la mort "accidentelle" de ses trois maris successifs : par noyade, saut en parachute accéléré, partie de ski nautique qui finit dans l'hélice... Sera-t-il le «Quatrième homme» ? Qui est la femme en bleu qui lui apparaît de temps en temps ?

Ayant enfin compris que Christine manipule tout et chacun à sa guise, il tente de sauver in extremis le bel Herman des griffes de cette femme assassine, dans une fuite tragique, à tombeau ouvert, en décapotable... Voyage pour une ultime vision sanguinolente, que Verhoeven nous réserve, non sans malice, en guise de digestif horrifique.

Qui donc, pour finir, aura empêché que le Quatrième homme soit la quatrième victime ? La fugitive dame en bleue : la Vierge ! Une mère sans désir, donc. Immaculée, sainte, virginale. Pouvait-on rêver profession de foi homosexuelle plus accomplie ?

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