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Pages égarées, Marcel Jouhandeau

Publié le par Jean-Yves Alt

… ou les mots pour dire la jouissance

Sartre disait que la grande littérature, celle qui survit aux climats du moment, est une littérature noire, secrète et presque toujours érotique.

Avec les Pages Egarées, on comprend le malaise qui naît à la lecture des principaux textes de Marcel Jouhandeau. Son écriture classique, léchée, n'était qu'un masque. Comme beaucoup d'écrivains homosexuels de sa génération, (Jouhandeau est mort en 1979, à l'âge de 91 ans), il a produit une œuvre en abîme et créé son propre enfer.

Ses livres ont le grain d'un palimpseste. Il faut gratter, éliminer la scorie romanesque pour découvrir l'homme Jouhandeau.

Dans De l'Abjection (1939) Jouhandeau se racontait homosexuel, à la première personne. On y découvrait son amour des garçons bouchers, la petitesse des atmosphères petites-bourgeoises qui engendre un désir d'infraction à la norme.

Marcel Jouhandeau fait remonter très loin dans l'histoire de l'individu le désir homosexuel. Il faut lire Du Pur Amour pour revoir ces amitiés tissées au cours de son enfance qui subsistent, indélébiles, au-delà des identités, des vécus sexuels. Jusqu'au délire de Tirésias, livre organique, délire phallique.

Pages égarées invite à l'égarement sexuel, aux nuits des mille plaisirs : on entre en orgie comme autrefois les comtes occitans entraient, sur leurs montures, dans les cathédrales. On se vautre, sous le regard d'un homme de 80 ans, dans les lits défaits. Des noms légendaires dressent leur haute stature : Antinoüs, Endymion ; des noms d'homme surgissent : Max, Pierre le catcheur, Georges, Alexandre… parce qu'on a besoin, en amour, de préliminaires, de mythologies, de fantasmes. Un carreleur italien peut bien ressembler à Apollon même s'il n'est, vu de près, qu'«un sac de pus» (p.30) !

Avec une complicité de félin, le frisson du vertige et l'ambiguïté de l'humour, Jouhandeau fait taire la morale pour dépouiller les hommes de leurs artifices, de leurs vêtements. Avec ses yeux en bouton de braguette, il regarde, il scrute, il dévore ces mains qui remontent un sexe dans un pantalon. La civilisation du vêtement ennuie car elle s'érige en obstacle à la chair : « La chair, toute seule, réduite, à elle-même, est sans hargne, comme sans défense. » (p.15)

« Il ne faut pas mépriser ceux qui ne savent pas tout le plaisir qu'on peut tirer de son corps et du corps d'un autre, mais ne pas les envier. Ils passent à côté de la vie. » (p.120)

Pages égarées est aussi une réflexion sans faille sur le plaisir. Dans une phrase lapidaire, Jouhandeau s'interroge, nous interroge : « Si le plaisir n'était que le plaisir ce ne serait presque rien. » (p.75)

Jean Genet avait fait exploser la littérature tranquille en proclamant l'évidence des bites arquées des taulards contre les murs cellulaires, et hurlait la jouissance du criminel.

La réflexion de Jouhandeau conduit au questionnement et au ravissement.

Qu'est-ce que jouir ? Comment dire l'orgasme ?

■ Pages égarées, Marcel Jouhandeau, Editions Pauvert, 1980, ISBN : 272020157X


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Du même auteur : Dans l'épouvante le sourire aux lèvres - Écrits secrets - Bréviaire, Portrait de Don Juan, Amours

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