1933 : Marinus Van der Lubbe et l'incendie du Reichtag
Marinus, qui vient de la mer. Tel était le prénom de van der Lubbe, ce jeune Hollandais accusé en 1933 d'avoir mis le feu au Reichstag, date essentielle aux historiens pour l'instauration du régime nazi.
« Etrange Marinus. Poupée ballottée entre des intérêts contradictoires qui le dépassent : provocateur nazi, disent les communistes, provocateur communiste, affirmèrent alors les nazis. Encore aujourd'hui (en 1979), le beau Marinus est la figure même du louche provocateur, qui a permis le démarrage de la chasse anticommuniste en Allemagne.
Or, van der Lubbe est homosexuel. Il est le lieu de toutes les contradictions d'une époque, qu'on le prenne comme un solitaire couvert d'insultes ou comme un gigolo vendu au diable.
Van der Lubbe à Berlin, lors de son procès
Avec van der Lubbe et sa tête de Radiguet rêveur, toutes les contradictions se nouent. Trop beau, ange prolétarien pour les anarchistes, balle folle des échanges entre communistes et nazis, van der Lubbe est un personnage ambigu, pris dans la surenchère entre démocraties, totalitarismes nazi et soviétique. Son geste fut d'abord celui d'un antiparlementaire radical. Il met le feu au parlement allemand (d'ailleurs déjà soumis corps et âme à Hitler) en faisant une mèche de ses propres vêtements imbibés d'essence. Etonnante symbolique du sacrifice, torche humaine dans la poudrière des totalitarismes en formation.
Accusé, sans preuves d'ailleurs, d'être à la solde des nazis, van der Lubbe n'a aucun droit sur son propre geste. Lui aussi, il subit la loi de l'échange entre les propagandes dont les homosexuels sont à l'époque victimes : agent du complot bolchevique dans la presse nazie, il est un trouble homosexuel, tenu par d'obscurs chantages, aux yeux des communistes et démocrates. Van der Lubbe est un provocateur «objectif», certainement pas volontaire, puisque la police nazie ne réussira jamais à lui tirer la moindre déclaration compromettant une force politique opposée. Il est resté l'archétype du «manipulé», de l'irresponsable historique, de celui qui ne maîtrise pas le sens de ses actes.
Héros négatif d'une Histoire où ne s'affrontent que les monstres d'acier des grands Etats d'avant- guerre, broyé par l'entrechoc du nazisme et du communisme, Lubbe est le signe du destin homosexuel du temps, victime incompréhensible, sans avocat, annonçant un massacre sans réparations. »
■ Extrait de Race d’Ep : Un siècle d'images de l'homosexualité de Guy Hocquenghem, avec la collaboration iconographique de Lionel Soukaz, Paris, Éditions Libres/Hallier, collection Illustrations, 1979, ISBN 2862970301, pages 134-135