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La confusion des sentiments un film de Etienne Périer (1979)

Publié le par Jean-Yves Alt

A la fin du film, Michel Piccoli prend le tendre visage de Pierre Malet dans ses mains et l'embrasse sur la bouche. Si je donne à cette image, une valeur de symbole, l'intérêt profond du film est ailleurs.

Etienne Périer a adapté le roman de Stefan Zweig : La confusion des sentiments.

C'est un roman grave, le récit d'une passion. Roland, le jeune étudiant découvre un sentiment exceptionnel pour son professeur de philologie anglaise mais il ne peut pas l'enregistrer comme attirance amoureuse. Admiration, croit-il, que cette totale dépendance où il s'enferme. L'intérêt du film est là, du côté de l'élève qui ne peut envisager - comment intégrer cette perspective dans le cadre conventionnel de l'existence du professeur ? - la vie cachée, homosexuelle, de l'homme qu'il vénère. Robert, le professeur, marié, ne peut que remplacer le père lointain. Pourtant des instants étranges et d'inhabituels comportements déroutent le disciple, qui se croit parfois haï.

La confusion naît de la distance qui les sépare au niveau de la connaissance du désir (cruelle mais nette chez le professeur, hors du conscient chez l'étudiant) et de l'intimité qui les unit.

La mise en scène oppose parfaitement le monde de la lumière, quand ils se retrouvent pour terminer le livre sur Shakespeare que Robert écrit, et le monde trouble de la nuit quand le professeur est harcelé par le corps de Roland.

La plus grande partie du film est réalisée en décors intérieurs, à la mesure de cette tragédie racinienne. Bureau calfeutré, préservé des agressions sociales par autant de livres et d'œuvres d'art ; le dialogue de la passion y prend les apparences de l'amitié. Chambres du possible plaisir, celle rudimentaire de l'étudiant, celle anonyme de l'hôtel. Dans ces lieux libérés éclate la chair dorée de l'adolescent, moments aigus, comme palpables quand nous convoitons la nudité de Pierre Malet avec les yeux du professeur vieillissant.

Les scènes d'extérieur, rares, viennent en contrepoint, champs et rivière, une échappée où Roland rencontre la femme et jamais le mari ; campagne lumineuse comme une jeunesse stéréotypée, qu'il oublie, pour se perdre dans l'interrogation d'un homme au mystère trop lourd.

Le désarroi du jeune garçon est admirablement rendu par Etienne Périer : gageure difficile car, à la fin du film, c'est Roland qui devient victime, elle renverse les conventions.

Michel Piccoli est extraordinaire. Raide et élégant dans le bureau où sa séduction s'affermit, il dépérit, humble, courbé, vulnérable, derrière les portes, grattant le mince obstacle qui le sépare de la magnificence charnelle du jeune homme.

La rigueur de la mise en scène, moins vibrante que celle de Visconti dans la Mort à Venise, s'adapte néanmoins minutieusement à cette histoire d'amour. Roland et Robert représentent, dans leur commune fragilité, l'évidence d'un autre amour, absolu, mais tout aussi fatidique.

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