Mon regard sur une sculpture anonyme de saint Sébastien à Strasbourg
Sébastien est toujours debout, dans une ferme position, alors même que les flèches ont constellé tout son corps. Sous cette pluie de fer, il devrait être mort. Aucune trace de sang. Le jeune homme ne s'abandonne pas, bien au contraire.
Il semble regarder au loin. Peut-être les archers bourreaux minables qui viennent d'exécuter leur tâche ? Ou l'arrivée de sainte Irène accompagnée de sa servante ? Ce n'est pas que ces propositions me paraissent fausses. Mais je crois qu'il convient d'ajouter que son regard, dans toute sa jeunesse insolente, me narguant de ses yeux impassibles, me sourit avec une équivoque tendresse.
Regard plus probablement tourné vers celui qu'il a choisi d'aimer envers et contre tous. Les blessures qu’il arbore sont celles de l'amour, de la redoutable et désirable flèche de l'amour. Aucun affolement ne se lève en lui mais plutôt une joie de certitude.
Anonyme, Saint Sébastien, vers 1510-1520
Tilleul, polychromie tardive – Provient de l'ancienne chapelle de l'Hospice Saint Erhard à Obernai – Musée de l'Œuvre Notre Dame à Strasbourg
Ce Sébastien est loin de celui de Giovanni Cariani recueilli dans un snobisme extatique. Il ne se pâme pas mortellement sous le dard. Pour en prendre totalement conscience, il suffit de supprimer l'arbre de l'outrage, de vêtir Sébastien, de faire reposer son coude droit sur un pupitre : apparaît alors un Sébastien au-delà de toute vicissitude et dans une parole illuminante.