Pour une éducation sexuelle… par Maxence Van der Meersch (1958)
« Un temps viendra où il nous paraîtra incroyable qu'on ait pu, comme nous le faisons de nos jours, laisser l'enfance livrée à elle-même, libre de se détruire et de se pervertir comme bon lui semble, sans que personne ne s'inquiète de lui tendre la main, de la guider, de l'éclairer sur le plus capital et le plus périlleux des problèmes : celui de la perpétuation de la vie.
Est-il possible que des enfants, que tous nos enfants, en pleine puberté, à l'âge où s'éveillent en eux des forces d'une violence et d'un prix inimaginables, capables de faire d'eux des monstres ou des saints, soient abandonnés tous ensemble dans leurs ténèbres, dans leur curiosité angoissée, réduits à s'éclairer les uns par les autres, à confronter leurs embryons de connaissances, d'expériences, à chercher à tâtons, en aveugles, péniblement, salement, cruellement, la lumière de la vérité ?
Et d'une vérité d'où dépend leur vie entière. Vous leur enseignez les connaissances les plus diverses. Vous leur assurez les maîtres les plus éminents. Vous estimez désastreux et honteux qu'ils ignorent Cromwell ou Pierre le Grand, ou les rudiments d'une langue morte. Vous cultivez leurs dons. Vous voulez qu'ils soient des lettrés, des musiciens, des artistes.
Mais pour ce qui est de cet instinct sacré qui naît en eux et qui dominera leur vie d'hommes, de maris, de pères, vous vous taisez honteusement. Vous les laissez s'instruire entre eux, songez-y, ces malheureux gosses.
Vous laissez à un petit de quatorze ans, plus précocement dépravé que le vôtre, le soin d'éclairer votre petit sur le plus grand mystère de la vie. Vous comptez sur l'expérience fortuite, les vices, les pauvres révélations sales et troubles d'un gamin de quatorze ans pour enseigner au vôtre la connaissance de sa future mission de mari et de père. Car c'est bien là ce que vous faites. Sans vous l'avouer, bien sûr, lâchement.
Le péché par l'abstention. Le péché par le silence. On n'aborde jamais la question, c'est plus simple. On n'en parle pas. On se tait. Et quand votre fils a vingt ans, il est entendu subitement qu'il sait tout, qu'il est instruit, éclairé, averti. Vous lui parlez d'homme à homme, à sa stupeur honteuse et qui n'ose y croire. Vous ne lui demandez pas d'où il tient sa science. Il est entendu qu'il sait. Et vous connaissez bien, au fond de vous-même, à quels pitoyables maîtres il est allé s'adresser.
Avouez-le, vous comptez sur l'école, sur les petits camarades, sur les hasards les plus périlleux de la vie, pour instruire vos gosses, pour « dessaler » vos tristes petits gamins solitaires et abandonnés à eux-mêmes. Votre seule excuse, c'est que « vous y êtes passés avant eux ». C'est qu'on n'a rien fait d'autre pour vous. Je ne sais si c'en est assez pour vous absoudre.
Je suis sûr quant à moi qu'un jour viendra où, en même temps que toutes les merveilles artistiques et scientifiques de notre temps, on révélera les méthodes d'éducation sexuelle de notre âge, ou plutôt la totale absence de ces méthodes, comme le plus sûr et le plus lamentable signe de notre barbarie. »
Maxence Van der Meersch
■ in Masque de chair, Éditions Albin Michel, 1958, pp.29-31