Mépris pour les embusqués par Alain Emmanuel Dreuilhe
« Si j'allais maintenant dans une boîte, comme le Saint à New-York, ou sur la plage gaie de Fire Island, je me sentirais comme les soldats revenus, pour une brève permission, de l'enfer du front, qui voient les planqués, les pédés non mobilisés, s'amuser, ripailler dans une atmosphère décadente de fin du monde.
Que d'amertume et de mépris j'éprouverais, animé d'un vain sentiment de supériorité morale, pensant à ceux qui sont déjà tombés et peut-être aussitôt oubliés, une pelleté de terre à la hâte jetée sur leurs cendres – les pompes funèbres insistent pour brûler les sidatiques au lieu de les embaumer, comme c'est ici la tradition.
La vie continue bien sûr et le danger même exalte les appétits sensuels de ceux qui ont encore des relations physiques à risque. Je sais qu'il est irrationnel de penser ainsi, mais j'attribue inconsciemment la chance insolente des embusqués à de sombres marchés avec le diable : ils doivent avoir des relations à l'état-major.
Quand on est en guerre, il n'y a ni tolérance ni justice. »
Alain Emmanuel Dreuilhe
■ in Corps à corps : Journal de sida, éditions Gallimard/Au Vif du Sujet, 1987, ISBN : 2070711951, page 43