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Jean-Paul, Marcel Guersant (1953)

Publié le par Jean-Yves Alt

Le roman débute dans les années 30, avec le héros – Jean Paul, né en 1912, étudiant en philosophie – en prise à la passion dévorante de Geneviève. Cette dernière ne sait pas que l'homme dont elle est amoureuse est un pédéraste (1).

Le lecteur est immédiatement placé dans les questionnements intérieurs du jeune homme – parfois cru mais conservant toujours une profonde acuité de son vécu. Après un long et profond baiser donné par Geneviève, Jean-Paul s'interroge sur ses sensations qu'il compare avec les baisers qu'il a reçus de garçons. En 1953, quelle audace !

« […] je dois tout de suite reconnaître que ça ne vaut quand même pas un baiser de garçon. […] Il faut bien que je me dise la vérité en face : Si un gars de seize ans m'avait pris comme Geneviève l'a fait tout à l'heure dans le taxi, je n'aurais pas tardé à rechercher activement d'autres précisions. J'aurais immédiatement mesuré le degré d'excitation du petit mâle offert et avouant ainsi son désir. » (p.14)

Après l'épisode de Geneviève, le roman se déroule chronologiquement et raconte la profonde introspection de Jean-Paul : des premiers émois qu'il ressent à 15 ans, au collège, pour Jean Premor, un camarade, à sa mort en 1935. Ce personnage illustre parfaitement bien le thème pascalien de la misère de l'homme sans Dieu.

« Nous naissons dans l'obscur, […] et nous paierons toujours de ne pas savoir qui nous sommes. » (p.35)

Jean-Paul ne manque pas d'interroger ses pulsions par rapport aux théories de Freud dont il a connaissance. Mais il les réfute d'emblée car il n'avait pas été amoureux de sa mère, ni jaloux de son père que, jeune du moins, il n'avait jamais eu l'envie d'égorger ; il n'avait pas éprouvé non plus d'inclinations incestueuses à l'endroit de sa soeur ou de ses frères.

Jean Premor lui permet de se défaire des lourdes ignorances, des inquiétudes imbéciles, des questions qui n'en sont pas. Il lui offre l'occasion d'apprendre sur le sexe ce qu'il faut savoir, sans y ajouter les bêtises fantastiques et imaginaires de la première enfance.

« […] qu'il lui ait proposé d'être son ami ! Ça ne pouvait pas tomber mieux... Ça ne pouvait pas tomber mieux ? Est-ce sûr ? Jean-Paul est saisi d'un frisson. La phrase l'attriste. […] Quelle cruelle ironie, cependant ! Au moment même où naissait la tenaillante pédérastie qui devait l'exclure du monde, faire de lui le paria, l'inférieur, l'homme seul, le gosse se réjouissait. Il découvrait des poisons effroyables et se précipitait dessus. Il se serait battu pour avaler la drogue pernicieuse. » (p.81)

Après Jean, il y aura d'autres garçons qui attireront Jean-Paul : Christian, sombre et ardent comme un matador ; Guy, triste et distingué, romantique et tendre, subtilement féminin ; Louis, qui n'aimait les garçons qu'en attendant d'aller aux filles, brutal et positif et qui se refusait au baiser sur les lèvres ; Rémi, exquis et cérébral, qui distillait en formules heureuses l'analyse de ses émotions et ne jouissait jamais si bien qu'en ses masturbations solitaires ; François-Xavier, sportif délirant, plein de muscles et de santé, et qui se faisait caresser avec le même sourire qu'on lui voyait aux lèvres après un cent mètres bien gagné ; Jacques, dont la bouche était si belle qu'on ne pouvait penser qu'à l'embrasser…

Au printemps de 1932, Jean-Paul se fait interpeller, à la terrasse d'un café, par un détective privé, chargé d'enquêter, à la demande de son père, sur sa vie et sur ses dépenses. L'homme a bien entendu tout découvert des secrets du jeune homme. Comme ce dernier refuse les petits arrangements du détective pour gagner son silence, Monsieur Chargnier père est informé de la vie de son fils.

Quelques jours plus tard, Monsieur Chargnier impose à son fils de quitter la maison et comme il est encore mineur, l'émancipe. Jean-Paul s'installe donc dans un appartement qui lui offre une liberté qu'il n'avait pas jusque-là. Les rencontres peuvent alors se multiplier :

« Soyons francs : au moins deux par semaine. Quelques-uns, cependant, ont émergé du lot et laissé un souvenir : […] Robert, qui a posé son vélo contre la pissotière et s'est immédiatement précipité contre Jean-Paul, l'embrassant comme jamais personne, rigoureusement comme jamais personne. Jean-Paul, ému, lui avait donné rendez-vous pour le lendemain, mais le petit amant fantaisiste et audacieux n'était pas venu […]. Et ce gamin en beige clair, avec lequel pas un mot ne fut échangé et avec qui ce fut si bon, dans ce silence même, pour ce silence, peut-être... Et ce petit Espagnol ou Portugais, Manuel, chaud comme une orange sanguine, qui avait essayé de faire chanter le garçon ; Jean-Paul lui avait flanqué deux gifles et puis, plaquant le môme sur le lit, il l'avait embrassé avec une passion folle ; le petit, sa tentative échouée, s'était immédiatement laissé faire avec une ardeur sans feinte... » (p.115)

Conscient de ce qu'il appelle son détraquement, Jean-Paul veut essayer l'amour hétérosexuel car il estime qu'il n'a pas le droit moral de négliger cette possibilité, de ne pas tenter de se débarrasser de son vice : le lecteur retrouve ainsi l’épisode qui commençait le roman. Avec Geneviève, une seule préoccupation le mobilise et le terrorise :

« Il faut absolument que j'arrive à la baiser. » (p.117)

Il ne faut pas longtemps à Jean-Paul pour comprendre que sa tentative auprès de Geneviève ne répond pas à ses attentes. Même s'il s'est épandu en elle, même si cela a été bon, il a dû faire appel à des images plus musclées, plus membrées, plus vives et plus provocantes que ses sensations présentes. Jean-Paul est maintenant certain qu'il ne connaîtra pas les transports de l'amour avec une femme :

« Ton destin est bien marqué ; et tu dois le jouer dans les zones interdites. » (p.130)

Jean-Paul reprend alors ses rencontres nocturnes. Il attend son enfant du rêve, celui pour lequel l'amour pourra se développer. En attendant, dans les contacts qu'il a avec les garçons d'un soir, il est incapable d'aller au bout, saisi d'inhibitions. Il pense trop avant de jouir. Et cette pensée chaque fois gâte tout son désir, appauvrit tous ses moyens. Il est soumis à cette insupportable dictature de la pensée.

« Est-ce qu'il lui était arrivé une seule fois dans sa vie de désirer sans regret, de chercher sans méfiance, d'oser sans peur, d'esquisser sans trembler ? Est-ce qu'il avait une seule fois joui sans penser à autre chose qu'à la volupté envahissante ? » (pp.171-172)

Un soir, comme à l'accoutumée, Jean-Paul entre dans une vespasienne. Il se déboutonne. L'homme, à côté, ne pisse pas ; Jean-Paul non plus. Ce silence classique assure à chacun que le voisin est un complice. Jean-Paul se recule un peu et touche la main de l'homme muet qui lui prend alors brutalement le bras en le sortant de force de la vespasienne. Jean-Paul reçoit des gifles magistrales. Il est saisi d'une terreur inouïe. Cependant, pour mieux le rosser, l'autre lâche prise. Jean-Paul, comme un fou, court mais l'homme le rejoint :

« Salaud ! Tante ! Enculé ! » (p.173)

Les deux hommes roulent à terre. Jean-Paul tombe sous lui et se fracasse la tête sur la bordure du trottoir. Jean-Paul est transporté à l'hôpital dans un service où l’interne, Pierre Merlin, et le chef de service, le professeur Gossin, sont à l'image du bon samaritain. Les deux médecins sont inquiets : l'état de Jean-Paul fait craindre des séquelles graves dans un futur proche. De plus Jean-Paul, est atteint de la syphilis. Et, la police qui l'a ramassé sur le trottoir, a signalé l'affaire à un juge d'instruction qui l'inculpe d'outrage public à la pudeur (art.330 du code pénal).

« Il pensait, non pas seulement pour excuser ses tergiversations et ses lâchetés, mais aussi parce que c'était conforme à l'ensemble même de sa doctrine, que l'on est moins responsable des défaillances du vouloir que des aveuglements de l'esprit. ? » (p.189)

L'interne, Pierre Merlin, aura jusqu’au bout, la grâce de s'occuper de Jean-Paul. C'est que Pierre est toujours prêt à faire la charité. C'est quelqu'un qui pense qu'opter pour le catholicisme simplifie singulièrement la vie (p.199). Il fait venir un ami avocat qui s'enflamme à défendre Jean-Paul :

« Le rôle de l'avocat est précisément de faire ce qui ne fait pas le Parquet, de discerner si un type vaut vraiment d'être sauvé, s'il sera ou non récidiviste, si le coup qui le fait tomber est une exception, une malchance, un accident. Dans ces cas-là, je défends à outrance, car la condamnation le perdrait définitivement : la prison, les fréquentations abominables des détentions, les promiscuités lui en apprendraient beaucoup plus qu'il n'en a dans la tête, et, à sa sortie, il serait un vrai bandit fabriqué par la Société au nom de sa défense et de sa morale ! ? » (p.192)

Depuis qu'il est dans cet hôpital, Jean-Paul doit s'avouer qu'il n'est déjà plus tout à fait le même bonhomme que celui qui tentait une approche dans une vespasienne. Il reconnaît que c'est à la présence de Pierre Merlin qu'il doit cette évolution.

Mais le professeur Gossin reste très pessimiste sur l'inversion de Jean-Paul :

« Les seules liaisons amoureuses entre la sensation et la jouissance […], il les doit à des garçons. Tout son érotisme est branché sur le mauvais courant. En outre, il est non seulement inverti, mais positivement obsédé ; à mon avis, il est irrécupérable pour une vie amoureuse normale. […] Au point où il en est, le seul remède consiste non à tenter de le normaliser et de redresser ses déviations essentielles, mais d'en faire un garçon sans érotisme du tout. Mais là, mon ami, c'est à vous de jouer avec vos flûtes surnaturelles ; nous, ici, avec les moyens du bord, nous ne pouvons rien en ce domaine, du moins pour l'instant. » (pp.209-210)

Le diagnostic de son chef de service incite Pierre, à parler de Jean-Paul au Père Mermillod, son directeur de conscience : Jean-Paul lui devenant de plus en plus cher à mesure qu'il lui apparaît plus perdu et complexe. Pierre est troublé par tant de misères physiques, morales et psychologiques qui accablent ce garçon pourtant si doué, plein de charme et d'intelligence. Pierre est persuadé que le Père Mermillod, en jouant avec les flûtes surnaturelles suggérées par Gossin, saura apaiser Jean-Paul, devenu son ami. Il en appelle à Dieu :

« Seigneur, je vous en supplie, ayez pitié de Jean-Paul ; n'oubliez pas qu'il est votre enfant ; regardez-le dans la misère où l'a réduit sa nature aveuglée ; regardez-le dans l'abandon terrible où il est perdu. Aidez-le, venez à son secours, apaisez-le. Il est fait pour Vous, il Vous désire sans le savoir. […] Faites-moi souffrir pour lui, afin que je l'aide. Dites-moi ce qu'il faut que je fasse pour lui être secourable, pour l'amener à Vous, pour qu'il Vous réponde et Vous comprenne. Mais ne le laissez pas là où il est. Profitez de ce qui lui arrive en ce moment, Seigneur, pour lui donner un signe ; il en a tant besoin. […] Excusez-moi, mon Dieu, de cette insistance ; mais je voudrais tellement que Vous le guérissiez. » (pp.226-227)

Au procès de Jean-Paul, l'avocat plaide non coupable et n'a pas de mal à démontrer le manque preuve de la matérialité du délit retenu par l'accusation. Le Président du tribunal, finalement, prononce un verdict d'acquittement pur et simple. Jean-Paul peut donc quitter la prison où il est entré à sa sortie de l'hôpital.

Ce qui surprend Jean-Paul que Pierre a conduit chez le Père Mermillod, c'est la façon dont le confesseur lui parle comme s'il était avancé dans les voies spirituelles, ou comme s'il était capable de s'y engager du jour au lendemain, sans considérer que depuis quatre ans et plus il est enfoncé dans le péché mortel le plus croûteux, le plus tenace (p.283) :

« Notre religion, ce n'est ni les Tables de la Loi, ni le Ciel, ni la Théologie, ni la Morale ; c'est le Christ qui est tout cela, mais vivant, attirant, rendu possible et accessible. Il est la vie de l'âme, et il ne faut pas vous étonner de mourir loin de Lui. Jean-Paul, le Christ a transformé l'Humanité toute entière ; ne pourrait-Il vous transformer, vous ? » (p.283)

Bien entendu, le Père ne demeure pas sur les hauteurs : il invite Jean-Paul à poursuivre un travail de philosophie (2) que lui-même avait entamé dans sa jeunesse. Il lui prodigue aussi, avec soin, des conseils détaillés :

« Le péché avec un autre doit être banni rigoureusement et c'est facile parce qu'il requiert toujours, plus ou moins, une participation volontaire et consciente. C'est vrai. Proscrire par conséquent – cela va de soi – toute phrase d'appel, de contact, d'invitation. Rien de plus simple. A ce moment là on est encore en quelque sorte assez froid et maître du bonhomme ; le refus de commencer est plus facile que la décision de s'arrêter. » (p.286)

Ainsi le Père proscrit radicalement à Jean-Paul la fréquentation des lieux où ces choses se passent : les pissotières, toutes, sans exception, parce que le hasard qui fait diaboliquement les choses pourrait un jour le surprendre. Les cinémas aussi ou alors s'installer délibérément entre deux bonnes femmes (p.287) Le métro. Il lui faudra se contenter de l'autobus ou des taxis. Les boulevards, les foires, les fêtes foraines, les petites baraques, les kermesses, tout ça devra être rayé en bloc des tablettes ; sans oublier les champs de courses où les occasions ne sont pas moins fréquentes.

La masturbation est aussi proscrite. En ce domaine, le Père propose à Jean-Paul la confession fréquente, toujours au même prêtre, et suffisamment souvent pour n'avoir jamais deux fautes à accuser dans une même confession. Au même prêtre, parce que la crainte de s'humilier devant le même homme par un même aveu et qui peut, au début, être très fréquemment répété, est de nature à retenir de pécher. […] Et […] ne confesser qu'une seule faute de cette nature par séance, pour ne pas vivre, ne fût-ce que vingt-quatre heures, en état de péché mortel. (p.288)

Jean-Paul est ébloui par cette clarté inconnue. Tant de pénétration psychologique, tant d'humanité mêlée intimement à tant de surnaturel lui paraît absolument admirable.

La prescription du Père Mermillod à Jean-Paul est en tout point conforme au diagnostic du Docteur Gossin pourtant complètement incroyant. Ce rapprochement entre le prêtre et le médecin s'accordent pour juger Jean-Paul incurable. Cette extraordinaire concordance des deux diagnostics établis et des deux méthodes préconisées par deux hommes aussi différents, l'un naturaliste et matérialiste, l'autre moral et religieux et qui ne se sont jamais rencontrés, a pour Jean-Paul une valeur absolue : la conclusion est qu'il ne peut être sauvé que si, par un effort particulièrement ardu, il étouffe en lui tout mouvement érotique, toute vie amoureuse… une totale abdication sexuelle.

Depuis son entrevue avec le Père Mermillod, Jean-Paul a changé complètement son angle de vue ; l'optique nouvelle qui en résulte lui paraît plus authentique. Mais pour combien de temps ? Maintenant, il se rive aux petites choses : la valeur morale, c'est l'accomplissement très simple et très précis des commandements et l'exécution d'abord des devoirs d'état (p.328).

Jean-Paul a bien saisi que le reste de sa vie sera faite d'une continuelle pénitence… A certains moments, il tente de trouver un responsable comme le montre cette révolte contre ses parents :

« Je leur en veux à mort […]. On ne m'avait même pas dit ce qu'était la pureté, ni le prix de la chasteté, ni la gloire de se maintenir vierge. Il fallait que je devine seul ce que pouvait bien signifier les questions de l'examen de conscience dans le livre de messe : "Ai-je commis des actes impurs ?" Je n'ai compris que bien longtemps après les avoir commis […]. Qui m'avait dit qu'à ces jeux je perdrais ma liberté ? Ils m'avaient eu pur entre leurs mains et ils m'ont laissé, muets, me corrompre sous leurs yeux ; et quand ça a été fait, suffisamment pour qu'ils s'en aperçoivent, ils ont feint de le découvrir et de s'en scandaliser. » (p.339)

Jean-Paul est de plus en plus soumis au doute face à la conduite que lui demande le Père Mermillod. Il s'en ouvre à Pierre qui a décidé de devenir prêtre :

« Je vis avec une chape de plomb sur la tête […] Je crois bien, moi, que la vengeance sera terrible et qu'une fois de plus, j'en serai la victime. Ce n'est pas impunément que l'on endigue les fleuves sans en tarir la source. Un jour ou l'autre, ils débordent et emportent, comme des fétus, les maisons riveraines. […] Si encore j'y croyais à cette continence de moi ; elle est une des exigences les plus inouïes, les plus incompréhensibles de la morale. Pourquoi est-ce que c'est défendu ? J'en reviens indéfiniment là ; et indéfiniment, je ne comprends pas. […] Je suis devant cette interdiction comme d'autres devant les affirmations de la Trinité : j'y crois sans en avoir aucune autre raison que la référence à l'Écriture et à l'Enseignement. […] C'est très maigre et pour cela c'est très fragile. […] Je disais l'autre jour au Père Mermillod que ma situation était la moins enviable de toutes ; car quel est mon lot, à moi ? D'une part, je n'ai pas reçu la grâce de la vocation, et, d'autre part, je ne peux pas me marier ; ainsi, je dois rester dans une continence absolue. » (pp.447-448)

Un jour, alors qu'il est en retard à un rendez-vous, Jean-Paul se trouve contraint de prendre le métro. Il rencontre un jeune garçon aux yeux bleus et aux cheveux blonds bouclés : il ne peut s'empêcher de penser qu'il a devant lui son enfant du rêve d'autant que l'adolescent, Philippe, espiègle, n'hésite pas à l'aborder et à le charmer. Jean-Paul et Philippe décident de partir quelques jours en escapade. C'est là que la culpabilité de Jean-Paul refait surface ; il abandonne Philippe et retourne auprès du Père Mermillod pour se confesser. C'est à ce moment qu'il prend conscience d'une dichotomie qui existe en lui, par rapport à la notion de faute :

« J'ai le regret de l'avoir fait, parce que je sais qu'il ne faut pas le faire. J'aimerais mieux, certes, ne l'avoir pas fait. […] Mais je n'en éprouve pas une horreur naturelle […] C'est uniquement à cause de ma foi et de ma soumission à l'Église et de ma volonté pure d'être chrétien, non à cause de ma nature ou de la nature de la chose que je regrette. Je ressens davantage une réprobation extérieure à moi qu'une répulsion personnelle. […] S'il n'y avait ni la morale ni la religion, je ne vois pas, non, je ne vois absolument pas par quel côté je pourrais avoir le moindre regret de tels actes. C'est terrible, mais c'est comme ça. . » (p.400)

Le Père Mermillod oblige Jean-Paul à déménager, et dans un premier temps à revenir chez son père afin que Philippe ne le retrouve pas. Sauf, que Monsieur Chargnier père est un célèbre médecin de la capitale… Philippe ne tarde donc pas à retrouver sa trace. Lors de leur ultime rencontre, Jean-Paul s'épuise en s'interdisant d'évoquer leur amour. Malgré les suppliques de Philippe, Jean-Paul s'en tient à une étreinte chaste. Jean-Paul lui écrit une lettre qu'il renonce au dernier moment à envoyer, estimant que Philippe n'est pas prêt à la recevoir ni à la comprendre. La nuit suivante, Jean-Paul ressent les premiers malaises – séquelles de son agression dans la pissotière – qui vont bientôt l'emporter.

Ce roman que Dominique Fernandez a qualifié de misérabiliste, d'accumulation de poncifs angoissés, de fatras bien-pensant, de ramassis de clichés culpabilisants… est pour moi d'une grande précision psychologique. Il montre les interrogations d'un jeune homme pris entre ses aspirations et les positions de l'Eglise. D'autres auteurs, bien plus connus, n'ont pas eu le courage de Marcel Guersant pour publier – sous leur vrai nom – un roman qui aborde clairement, sans litotes ni allusions tarabiscotées, les désirs homosexuels. C'est avec le cœur serré que j'ai lu ce livre. Et des larmes n'ont pas manqué de monter à plusieurs reprises…

■ Jean-Paul, Marcel Guersant, ditions de Minuit, 1953, 531 pages


(1) Le terme de pédéraste est à replacer dans le contexte de l'époque ; il a le sens d’homosexuel.

(2) Le rôle de l'Incarnation selon la philosophie de Maurice Blondel.

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