Plus jamais un homme ! par Alain Emmanuel Dreuilhe
« Il m'a fallu plus d'un an, depuis que le diagnostic du sida est tombé avec une pneumonie, pour renoncer peu à peu à ma sexualité, m'en détacher, pouce de chair par pouce de chair, et pratiquer une abstinence monacale.
J'ai épousé la chasteté du croisé, du chevalier avant le combat, qui sublime l'énergie sexuelle en amour pour la patrie, en ardeur sur le champ de bataille. Mon choix est bien sûr dû aux circonstances. Comment trouver un partenaire consentant et connaissant ma situation ? Comment oser exhiber ce corps dont j'étais fier, qui, faute d'exercice, est devenu un mannequin au ventre distendu et aux membres grêles, tandis que les chairs ont fondu au soleil du sida ? Le Poilu ou le broussard ne correspondent guère à l'idéal courtois et ne peuvent à la rigueur que satisfaire les amateurs de frissons qu'excite l'odeur forte des grands fauves. En l'occurrence, je dégagerais plutôt l'odeur du chlore, dont je me sers pour tout désinfecter, ou des préparations d'alcool, dont je frotte mon cathéter avant les piqûres. »
Alain Emmanuel Dreuilhe
■ in Corps à corps : Journal de sida, éditions Gallimard/Au Vif du Sujet, 1987, ISBN : 2070711951, pages 94-95