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Littérature jeunesse par Christophe Honoré

Publié le par Jean-Yves Alt

« Dans un entretien pour un mensuel de littérature, j'avais déclaré des conneries auxquelles je croyais. J'avais dit, il y a deux sortes d'écrivains pour enfants, les parents d'élèves et les célibataires – je pensais les parents d'élèves et les narrateurs homosexuels.

J'avais divisé en deux la littérature pour enfants, l'une était projetée, écrite pour, bienveillante, l'autre était introspective, écrite sans, mauvaise. Je penchais pour la mauvaise bien sûr, je m'en croyais une des élites, reconnaissant secrètement que mes écrivains préférés faisaient partie de l'autre, la bonne.

J'avais dit aussi que le seul tabou en littérature jeunesse, c'était l'intime, parler de soi, qu'aucun parent au monde ne voulait que son gamin lise un adulte qui parlait de lui, qu'un livre pour enfants idéal c'était un livre de rédaction immaculée, sans écrivain derrière, une histoire de lapin. Heureusement les parents sont fainéants, ils ne prennent pas le temps de jeter un œil aux livres de leurs gamins, il leur suffit de s'enthousiasmer sur le nombre de livres lus.

J'avais dit que la littérature pour enfants exigeait une lutte de chaque instant, un militantisme, des combats, des trahisons, des martyrs et que je me sentais trop faible, vulnérable, sans assise, sans clan, que je voyais si peu de bons écrivains, et que ces écrivains étaient si peu reconnus pour de bonnes raisons, j'avais dit les lapins ont gagné.

Et tirant les conséquences, j'avais proclamé mes adieux à la littérature jeunesse, j'avais dit à trente ans j'arrête. Mais avant, j'écrirai un ultime livre, qui serait l'impossible de la littérature jeunesse, une autobiographie de mes dix ans. Durant des mois, je me suis agité, élaborant des plans, notant des idées, construisant et déconstruisant ce récit, une exaltation.

J'en voulais alors à Chris Donner d'avoir utilisé ce titre admirable que je jalousais. "Mon Dernier Livre pour enfants", je me disais : comment a-t-il pu résister à écrire le livre que ce titre ordonnait ? (Chris Donner. Christophe Donner. Laissez-moi apprécier un instant la gaieté de citer ici Christophe Donner.)

Puis je me suis mis à l'écrire, écriture interminable étalée sur quatre années, et cette confession transgressive, ce tour de force, ce monument annoncé est devenu ça, «Dix ans», épave minable de douze pages, à l'apparence d'un champ d'été maigre comme en hiver, fourrure avare, mitée, d'un animal presque mort, ou plutôt complètement mort et dans un tel état de décomposition qu'il n'est pas exagéré d'affirmer que c'est devenu une charogne.

Si je ne craignais pas d'être gênant envers vous, je m'autoriserais des pages pour décrire la tristesse que cette défaite bâtit en moi. Mais depuis ce matin, la douceur s'est substituée à la tristesse. Non, pas la douceur, la douceur est un scalpel, elle entaille, s'accompagne d'un désir d'autopsie, de fouille, décoller délicatement la peau des os, elle est un zoom infini, non là rien ne s'approche, ni ne menace, il s'agit de bonté.

Il m'aura donc fallu cinq ans puis une actrice, une déperdition, un collège japonais, «un dansons de là», le silence d'une attachée de presse enfin pour que j'ose relire ça, et que j'admette que j'appartiens à ça plus qu'au reste, que de tout ce que je possède, je ne peux considérer que ça comme véritablement à moi, que là je me tiens exactement, dans ces lignes avares, mitées et pleines, dans cet inachèvement. »

Christophe Honoré, Le Livre pour enfants, Editions de L'Olivier, 26 août 2005, ISBN : 2879295033, pages 48-51

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