Les œuvres d'Eustace, James Purdy
Ce roman, dans lequel l'auteur développe et amplifie la question du désir sexuel entre deux hommes, a pour toile de fond le Chicago des années 1930.
Entre le krach économique et la guerre, Eustace Chilsholm, poète raté et homosexuel, et sa femme Clara sont au centre d'un groupe de désaxés qui ne parviennent pas à s'intégrer à la société :
○ Amos Ratcliffe, l'adolescent d'une beauté exceptionnelle, qui est amoureux de Daniel Haws.
○ Le terrible capitaine Stadger qui exerce son sadisme sur Daniel pour l'arracher à l'amour d'Amos. Il finit, après d'innombrables tortures, par châtrer Daniel et se suicider, mais Daniel n'en mourra pas moins de sa mutilation.
Eustace Chisholm joue à manier les ficelles de ces marionnettes humaines. Il prend, pour un trait de son génie, son goût morbide pour ces manigances. Les connaissant mieux qu'il ne se connaît lui-même, il croit les gouverner. Ce sont là ses œuvres, sa création.
Dans une langue d'une grande simplicité et grâce à une technique romanesque classique, James Purdy traite dans ce roman le thème de l'aliénation de l'individu. Aliénation née de l'argent, d'une confusion des valeurs, d'une fausse conception de l'amour et de l'obsession homosexuelle.
Ainsi, l'amour d'Amos pour Daniel demeure un amour contrarié. Daniel reste en effet incapable de vraiment admettre que le sentiment qu'il éprouve pour l'adolescent est de l'amour :
« Incapable de détacher ses yeux du visage du jeune homme, il ne pouvait admettre que le sentiment qui s'emparait de lui était de l'amour - il attribua d'abord son état à quelque malaise physique. En effet, depuis l'apparition de sa virilité, il avait toujours eu des filles, il passait dans sa famille, pour en être fou, et, il avait continué à forniquer en bon soldat jusqu'à la période actuelle, avec une assiduité sans failles. Il ne pouvait pas penser qu'il désirait le corps d'Amos (qui était un garçon maigre, malgré le beau dessin de ses fesses), mais il ne pouvait se dissimuler, dans ses moments de lucidité aveuglante, qu'il avait besoin d'Amos, que c'était Amos qui lui dictait ses émotions, qui incarnait tout ce qu'il demandait. Que son être tout entier fût désormais assujetti à un jeune garçon constituait simplement le dernier de cette longue série de désastres qu'avait été son existence. » (p.89)
Une homosexualité angoissante qui exhale des vapeurs méphitiques d'où, vis-à-vis des personnages, un puissant besoin de compassion ressenti à la lecture de ce roman.
■ Les œuvres d'Eustace, James Purdy, Editions Gallimard, collection Du Monde Entier, 1969, ISBN : 2070273059
Du même auteur : Chambres étroites - La tunique de Nessus