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Être amoureux par Christophe Honoré

Publié le par Jean-Yves Alt

« […] croyez-vous que nos sentiments sont hors la réalité, qu'ils sont premiers, admis de toute éternité, des flammes autour de nous, comme l'Esprit-Saint, pensez-vous concrètement que si vous croisiez la même personne à quinze ans, à vingt ans, à trente ans, vous tomberiez à chaque fois amoureux de cette personne, d'une manière identique, comme si c'était immuable, que ça dépendait vraiment d'autre chose que des circonstances, que vraiment les personnes dont on tombe amoureux, on ne peut pas éviter de les aimer, même si le jour où on les croise n'est pas le bon jour, qu'il y a quelque chose de plus fort, et autant oser le dire, quelque chose qui nous dépasse, nous transcende, que le sentiment amoureux serait une vérité à laquelle on ne peut échapper […]

[…] on tombe amoureux tout simplement parce qu'il était temps, et que pour l'autre aussi, il était temps, et que ces deux temps se joignent un moment et se mettent à écrire une histoire, parce que tomber amoureux c'est bien ça, c'est se mettre à écrire une histoire, c'est rentrer dans la fable, croyez-vous que c'est le temps et non pas le personnage qui lance la fiction, comme c'est le temps qui met fin à la fiction, qui se ramasse, se replie, interdit la suite d'un récit, parce que je l'ai cru moi, longtemps, j'ai cru à cette conception circonstancielle du sentiment, et finalement ça ne marche pas vous savez, en tout cas pour moi ça ne marche pas parce que le sentiment a toujours perduré chez moi à la rupture, même lorsque j'étais celui qui rompait […]

[…] mais revenons à l'idée de la rupture, et à cette expérience que j'ai, l'expérience est souveraine, que le sentiment perdure à la rupture, qu'il existe hors du temps, que la fin d'une histoire ne signe jamais, chez moi, la fin du sentiment, ce qui, soyons logique, revient à dire que le sentiment serait tout à fait autonome au début d'une histoire, qu'il est ontologiquement porté par la rencontre, par l'autre, que c'est 1'autre qui a le pouvoir sur moi de me faire tomber et non pas moi qui suis en état de tomber, l'autre qui fait résonner quelque chose d'inédit, un scandale, un sentiment amoureux, l'autre qui me donne la preuve que je suis au monde, et que le monde me voit, et me charme, et me change, que le monde me transforme en amoureux. »

Christophe Honoré, Le Livre pour enfants, Editions de L'Olivier, 26 août 2005, ISBN : 2879295033, pages 96-98

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