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Nord, un film de Xavier Beauvois (1992)

Publié le par Jean-Yves Alt

Un pont mobile ouvre le passage à une voiture : c'est la première image de Nord, c'est aussi, mais vu de la rive adverse, celle qui viendra clore le film.

Xavier Beauvois, avec ce long métrage, plante son décor – insulaire – de façon résolument naturaliste.

Presque aucune musique, sinon cette cassette de Nana Mouskouri que la mère – Bulle Ogier, sobre, opaque, captive – se repasse indéfiniment et dont les paroles sont, d'un bout à l'autre, l'insistante dérision de son abîme définitif : « ... car il m'a donné plus que ma vie, celui que j'aime... ».

Xavier Beauvois n'explique rien : il montre.

Le père – Bernard Verley dans une interprétation stupéfiante – pharmacien pochard, au bout du rouleau, convoque le drame autour de sa personne. Le fils, Bertrand – interprété par Xavier Beauvois –, se ronge de sa tutelle redoutable, haïe. Sa petite sœur malade mentale se contorsionne en gémissant dans un fauteuil articulable.

La caméra du réalisateur, perfidement postée en lieu et place de l'écran télé, laisse le spectateur se regarder, comme dans un miroir fixe, dans le spectacle de l'étroite tribu pavillonnaire qui dîne, muette, sordide, devant le poste : le son de la pub Mont Blanc, sans l'image, ne cache plus rien de son inanité burlesque. Le rythme du film s'installe ainsi par fragments successifs. Avec une sorte de cruauté jubilatoire, Nord fait feu de chaque plan comme un coup tiré à bout portant sur le réel. Glauque affectif, promiscuité sociale, solitude intérieure : triple figure de l'autarcie. Elliptique à l'instar de son titre, l'histoire resserre l'étau du mal de vivre autour de ce microcosme, où chaque protagoniste n'en finit pas de se noyer.

Le garçon seul a encore la force de fuir l'horreur du foyer en partant en mer pêcher au chalut, avec ses seuls vrais amis : les marins. Il s'achètera, plus tard, un chalutier baptisé Providence... Tandis que le père – répulsif, monstrueux – trébuche irréparablement ; sa femme s'enfonce dans l'acceptation inerte de son propre malheur. Même sa chaude main secourable, pour masturber son fils, un beau soir, devant un porno télévisé, ne la sauvera pas du marasme. La scène, dans le genre poisseux, figure un morceau d'anthologie.

On devine que l'enjeu de Nord est de solder les comptes avec le passé. Exorciser le Père, surtout. Nord, ou le ressentiment comme expérience.

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