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Hommage à Max Jacob

Publié le par Jean-Yves Alt

Né le 12 juillet 1876 à Quimper, Max Jacob était breton, français et juif, trois états fondamentaux de toute son œuvre. Il révéla une oeuvre et un génie fondés, entre autres, sur la discipline religieuse, rituelle, stricte, reprise scrupuleusement, chaque matin, même si le démon avait hanté sa nuit : méditation, la plume à la main, messe souvent bissée, chemin de croix...

Max Jacob écrivit des textes rendant un fort beau son à l'idéal féminin, aux amours que l'on peut éprouver pour les femmes. Mais il était homosexuel, et, il aima avec bien des tourments et des exaltations coupables des garçons qui parfois le rendaient fou de désir et de lubricité.

Max Jacob n'était pas, dans son oeuvre, exhibitionniste de ses désirs. Il laissa néanmoins suffisamment de témoignages pour qu'on ne s'y méprenne pas, et qu'on puisse en rien mépriser de ce qui fut sa rayonnante trajectoire.

Quand les Allemands l'arrêtèrent et l'enfermèrent au camp de Drancy pour le vouer à une mort inéluctable, ils ne le connaissaient pas. Ils ne savaient qu'une chose : il est juif. Cela suffisait pour le retirer à la lumière du jour, et à l'affection de ses amis. Avec lui, une part de la beauté du monde disparaissait : « Je ne connais rien de plus beau que les yeux de Max Jacob. Il est presque normal que le monde se fasse poème en sortant d'une main après avoir traversé des yeux pareils, comme drapés autour du visage », écrira Jean Cocteau.

Le démon hanta ses nuits, et ce démon s'appelait les corps de garçons. A son grand désarroi, il ne sut, ne put, ne voulut jamais contenir les débordements d'une chair et d'une âme trop sensuelles pour se priver d'elles-mêmes. Entre la chair et l'âme éprise des bienfaits de la religion, entre son désir et sa foi, Max resta déchiré.

Pour réparer ce goût immodéré qu'il avait pour les jeunes gens, aux excès du vice, il conjugua ceux du prosélytisme : il voulut convertir tout le monde ! Lui-même ne s'était-il pas converti au catholicisme apostolique et romain, en février 1915, embrassant la foi chrétienne, avec peut-être l'espoir vain de n'être plus aussi tourmenté par son désir d'embrasser des corps moins eucharistiques que celui du Christ ? L'époque s'y prêtait. On convertissait à tour de bras, et chaque écrivain qui s'immolait sur l'autel de la foi était une victoire pour l'Eglise.

La foi de Max Jacob était réelle, pure, innocente, mais lourde de sens. Il n'avait pas seulement retrouvé le chemin de Dieu ; il avait quitté la tradition de ses pères : il avait renié son judaïsme, effroyable opération de castration des racines fondamentales. Juif il était, juif il restait et ne le reniait pas. On ne peut oublier les circonstances : une France encore habitée par les soubresauts de l'affaire Dreyfus, un antisémitisme presque aussi naturel et de bon ton que le nationalisme d'un Barrès, précurseur de La France aux Français. A son baptême, son parrain s'appelle Picasso. Il connut Pablo au début du siècle. L'amitié était ce que Jacob cultivait avec le plus de talent, après la peinture et la poésie.

1901, le siècle est tout neuf, c'est le début de cet atelier passé à la postérité sous le nom inventé par Max Jacob de « bateau-lavoir ». Picasso est en pleine gestation de sa période bleue, Max, plus modestement mais non sans patte, peint des aquarelles et des gouaches. Pablo et Max se serrent dans une chambre miteuse. Max est critique d'art à la petite semaine, mais il n'a encore rien écrit. Tous les métiers se suivent et ne se ressemblent pas pour faire bouillir la marmite. Un véritable inventaire à la Prévert du gagne-pain : balayeur de boutique, clerc d'avoué, bonne d'enfant, manutentionnaire et néanmoins secrétaire de la revue Sourire, dirigée par Alphonse Allais. Il y publie, faisant les premières armes d'un humour empreint d'une ironie salace. Ce sens de l'écriture comique, avec une infinité de registre sur sa palette, du drôle le plus tendre à l'humour le plus féroce, on le retrouve dans ses contes pour enfants (Histoire du Roi Kaboul et du Marmiton Gauwain) et ses romans.

René Dulsou, qui écrivit sous le pseudonyme de Sinclair, fit la connaissance de Max Jacob en 1932. C'était l'époque de la rue Nollet, dans le quartier des Batignolles. René Dulsou, qui fut son amant pendant trois ans, vivait alors chez ses parents. Ces derniers reçurent le poète, si prudent, qu'ils ne se doutèrent jamais des liens qui l'unissaient à leur fils. Mais les amours de Max ne furent jamais très heureuses. La souffrance succèda, proportionnelle, à l'enthousiasme du début.

Retiré à Saint-Benoit-sur-Loire, à partir de 1936, on vint toujours le voir : Michel Leiris, Edmond Jabès (à qui s'adressent Les conseils à un jeune poète), et tous les fidèles de la rue Nollet. Il aima les hommes aussi et surtout d'amitié, mais était ulcéré des trahisons.

De plus en plus obscur et méprisé de la jeunesse, celui qu fut surréaliste avant Breton dénigra sa propre littérature, oubliant que le premier, il s'était appliqué à saisir en lui de toutes les manières, les données de l'inconscient : mots en liberté, associations hasardeuses des idées, rêves de la nuit et du jour, hallucinations, etc. C'est avec Le cornet à dés que commença la poésie cubiste : «Il ne s'agit pas de montrer la chose où elle est, mais de la placer où l'on veut qu'elle soit.»

Il faut lire, celui qui, de la comptine à l'angoisse métaphysique, du calembour aux larmes, du burlesque à l'halluciné, savait transformer le poème en prose du bizarre, de l'imprévu, du comique, et par ses romans déployer une satire, méticuleuse jusqu'au sordide, de la société.

Le 5 mars 1944, au Camp de Drancy, l'étoile jaune à la boutonnière, il meurt. On raconte qu'il eut ces mots qui lui valent un passeport pour tous les paradis : comme le médecin se penche sur son corps mourant, Max le fixe avec douceur, et murmure en guise de dernières paroles d'amour : « Vous avez un visage d'ange ».


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