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Le Boucher de Cleveland, Max Allan Collins

Publié le par Jean-Yves Alt

Les Etats-Unis après la crise de 1929, le chômage, la misère, la prohibition, et, parallèlement à la prospérité de la mafia, la hausse soudaine de la criminalité : de cette triste époque américaine, l'auteur n'a pas retenu les décors du Chicago d'Al Capone : il a au contraire éludé la facilité des stéréotypes, et a cherché l'horreur un peu plus loin, sur les bords gelés du lac Erié, dans la banlieue ouvrière de Cleveland, là où le célèbre Eliot Ness poursuit sa carrière, en qualité de directeur de la Sûreté.

L'ambiance est glauque à souhait, le sang coule à flots, les corps tombent et se figent, un nouvel M. le Maudit nargue la police, et l'épouvante règne sur la ville...

Max Allan Collins a su gérer avec maestria les multiples rebonds de sa sombre enquête, tout en s'intéressant au contexte socio-économique. Ce Cleveland sinistré ressemble fort au London de Jack l'Eventreur, avec le fourmillement de son sous-prolétariat hagard – putes et souteneurs à la petite semaine, matelots et dockers clochardisés, tous réduits à l'état d'épaves par la débine, la désespérance et l'alcool. Cette ville illustre parfaitement ce qu'a d'étonnamment flou la frontière entre ordre et fascisme, pauvreté et infection, mal et bien, criminels et victimes… dès lors qu'un krach boursier voit la bourgeoisie au pouvoir se crisper sur ses privilèges et couper soudain court à son paternalisme de façade à l'endroit de la populace.

Au rythme de ses découvertes macabres, les trois années de traque d'Eliot Ness, lancé avec flegme sur les traces de l'abominable boucher de Cleveland, ont surtout ce mérite de rappeler aux lecteurs que les monstres dans le genre du Vampire de Düsseldorf ou du Dr Petiot ne prospèrent pas sans un terreau très favorable, que les sursauts du crime ne sont jamais des hasards, que dans le scénario classique des meurtres sadiques en série, les proies se recrutent rarement dans les beaux quartiers, et que, curieusement, au bout du compte, les plus grands criminels, en pareille affaires, font toujours davantage penser à de très opportuns boucs émissaires voire d'idéales victimes propitiatoires.

D'aucuns reprocheront à l'auteur d'avoir fait de son assassin un homosexuel. Ils auront tort. L'indignation de Max Allan Collins, de toute évidence, est de celles qui ne s'arrêtent pas à évaluer les hommes en fonction de leurs goûts sexuels. Qu'on en juge par le dénouement où l'on voit tout de même l'affreux fils à papa échapper, au grand dam d'Eliot Ness, à la chaise électrique, sur intervention des huiles locales.

Un polar étonnant. Finaud. Et presque métaphorique.

■ Le Boucher de Cleveland, Max Allan Collins, éditions Gallimard/Série Noire, 1989, ISBN : 2070492060

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