Répression des sodomites aztèques (2/2)
Au XVIe siècle, les prêtres et conquérants du Mexique ont soupçonné les Aztèques des vices les plus monstrueux. En particulier, la sodomie.
Pour les missionnaires, les vices des Indiens ne pouvaient s'expliquer que par l'action du diable. L'un des premiers missionnaires débarqués au Mexique, le franciscain Toribio Motolinia écrivait : « Ils pratiquaient cet infâme et abominable délit (la sodomie) car ils ignoraient la grâce et loi divine et le démon, pour mieux les dominer, les aveugla et leur fit croire que, parmi leurs dieux, ce vice était pratiqué et était licite ».
Dans la province du Michoacan située au nord-ouest de Mexico, un fonctionnaire espagnol écrivait sur un « fantôme ou diable, homme affreux atteint de jaunisse qui non seulement leur conseillait et poussait à commettre des péchés avec leurs sœurs et leurs mères, mais aussi le péché infâme et abominable ».
Au Guatemala, Bartolomé de Las Casas décrit l'une de ces divinités malignes : « ... un démon qui avait l'apparence d'un indien leur apparut, qui les poussa à le commettre (l'inévitable péché abominable) comme lui le commit avec un autre démon et de là que certains d'entre eux ne le considèrent pas comme un péché, disant que ce dieu ou diable le commit et les persuada que ce ne devait pas être un péché ».
Existait-il des mythes ou des légendes dans le monde précolombien comparables au mythe grec de Zeus et Ganymède ? On peut le supposer bien que les textes disponibles soient fort circonspects sur ce thème.
Parmi le panthéon foisonnant des anciens Mexicains, il est une divinité dont on peut suspecter les liens avec l'homosexualité. Il s'agit du dieu aztèque Tezcatlipoca, le seigneur au miroir fumant. Personnalité mythique complexe et singulière, liée au pouvoir impérial, à la guerre, protectrice des esclaves et des magiciens, ce dieu était aussi en étroite relation avec les transgressions sexuelles. Les Indiens évoquaient son passage sur la terre où il donnait vie à la poussière, à l'ordure, c'est-à-dire au péché de chair.
Un mythe narre les exploits perturbateurs de Tezcatlipoca à Tula, la capitale des Toltèques. Afin de séduire la fille de Huemac, roi de Tula, il se transforme en huaxtèque et, conformément aux coutumes vestimentaires de ce peuple, il apparaît nu avec la chose suspendue, dit le savoureux texte en langue aztèque. À sa vue, la fille d'Huemac est « tombée malade, elle a vibré comme un tambour, elle a haleté de fièvre comme si elle souffrait de l'absence de l'oiseau du huaxtèque ». Pour guérir sa fille, le roi toltèque n'a d'autre alternative que de la marier au dieu malicieux. Cela provoque la fureur des sujets de Huemac, une guerre civile et la destruction de Tula.
Tezcatlipoca était associé à une sexualité et pouvait également inciter d'autres personnes ou dieux à des actes réprouvés par la morale indigène, comme l'inceste. Son rapport à l'homosexualité est plus ambigu. Il existe, en effet, des prières adressées à cette divinité en vue d'obtenir diverses faveurs : richesses, prisonniers à la guerre ou encore la guérison d'une maladie. Or, des pénitents mécontents des résultats de leurs requêtes s'adressent à Tezcatlipoca en termes fort peu respectueux : « O Tezcatlipoca ! Toi, misérable sodomite ! Tu t'es amusé de moi, tu t'es moqué de moi ! ». Le malade désespéré de l'inefficacité de sa prière interpelle ainsi le dieu capricieux : « O Tezcatlipoca ! O misérable sodomite ! Tu as déjà pris ton plaisir avec moi. Tue-moi rapidement ! Alors Tezcatlipoca guérissait certains ; il n'était pas irrité par cette insulte. Cependant, certains mouraient pour cela. »
La passivité restait le grand péché : les textes recueillis en langue aztèque sont importants car ils expriment une pensée authentiquement indigène sans interférences européennes. Tezcatlipoca était-il considéré comme un homosexuel passif, le mot cuiloni étant chaque fois utilisé ? Ou bien s'agit-il d'une insulte, relativement courante dépourvue de signification ?
Les accusations d'homosexualité passive étaient utilisées durant les batailles et les Espagnols eux-mêmes en ont été victimes si l'on en croit Bernal Diaz del Castillo. Un conquistador espagnol, Rodrogo de Castaneda, qui combattait avec une coiffure de plumes indigène fut insulté de cette manière.
Il s'agit d'une insulte utilisée pour déprécier un adversaire. Dans le cas de Tezcatlipoca, qui est tout de même l'une des divinités les plus importantes du panthéon aztèque, il paraît douteux que les invectives des pénitents aient été choisies au hasard.
Il existait une législation pénale relative à l'homosexualité. À Tezcoco, capitale intellectuelle et juridique de l'empire aztèque, un auteur métis, IxtlilXochitl, écrivait que « le péché abominable était puni avec extrême rigueur, ainsi, l'homosexuel actif était attaché à un pilori et tous les jeunes gens de la ville le couvraient de cendres, de sorte qu'il restait ainsi enterré et à l'homosexuel passif, on lui sortait par le sexe les viscères et, de même, on l'enterrait dans les cendres ».
Dans d'autres régions comme le Michoacan, les homosexuels passifs étaient jetés en prison. Pardonnés et remis à leurs parents, ils étaient sacrifiés si on les surprenait à nouveau. On remarquera qu'aucune mesure répressive n'est prévue à l'encontre des homosexuels actifs. Dans le Yucatan (sud-est du Mexique), le seigneur de la ville de Mayapan, Tutul Xiuqui « ayant trouvé quelques Indiens coupables du péché abominable, ordonna de les brûler vifs dans un four qu'il fit construire pour cela ».
Il existe cependant des témoignages de tolérance à leur égard. Un fonctionnaire espagnol rapporte, à propos de la ville d'Ixcatlan qu'« il y avait des châtiments pour tous les vices et non pour les sodomites » tandis qu'à Tlaxcala (près de Mexico) « le péché abominable était tenu pour une grande abomination mais n'était pas puni ».
Lire : Guilhem OLIVIER, Conquérants et missionnaires face au « péché abominable », essai sur l'homosexualité en Mésoamérique à la veille de la conquête espagnole, Revue Caravelle, cahiers du monde hispanique et luso-brésilien, Université de Toulouse le Mirail, n°55, 1990, pp.19-45
Les citations sont extraites de l'article de Guilhem Olivier.
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