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Les amitiés particulières dans Poil de Carotte de Jules Renard

Publié le par Jean-Yves Alt

Quand les amours des petits interfèrent avec celui des grands, la catastrophe n'est jamais loin. Comme dans ce délicieux récit de Jules Renard intitulé Les joues rouges où Poil de Carotte, l'alter ego de Jules Renard, pensionnaire à l'institution Saint-Marc, se venge du maître d'étude, Violone.

Le motif ?

La jalousie.

« Violone [...] s'arrête près de Marseau, avec lequel il donne, tous les soirs, l'exemple des longues causeries prolongées bien avant dans la nuit [...], il s'amuse de ses récits enfantins, et le tient éveillé par d'intimes confidences et des histoires de cœur. Tout de suite, il l'a chéri pour la tendre et transparente enluminure de son visage, qui paraît éclairé en dedans. Ce n'est plus une peau, mais une pulpe [...]. Marseau a d'ailleurs une manière séduisante de rougir sans savoir pourquoi et à l'improviste, qui le fait aimer comme une fille. »

Poil de Carotte, son voisin de lit, le jalouse entre tous. Alors il se tient aux écoutes, « soupçonneux avec raison peut-être, et désireux de savoir la vérité sur les allures cachottières du maître d'étude. Il met en jeu toute son habileté de petit espion. »

Et quand le pion est parti, il insulte le pauvre chérubin :

« C'est du propre !…Tu crois que je ne vous ai pas vu. Dis voir un peu qu’il ne t'a pas embrassé ! dis-le voir un peu que tu n’es pas son Pistolet. »

La réponse du pion ne se fera pas attendre :

« Poil de Carotte ne peut pas comprendre, déjà trop dépravé pour son âge, que c'est là un baiser pur et chaste, un baiser de père à enfant, et que je t'aime comme un fils, ou si tu veux comme un frère, et demain il ira répéter partout je ne sais quoi, le petit imbécile ! »

Il ne reste plus pour ce pauvre Poil de Carotte que l'occasion vite trouvée de dire au directeur :

« Le maître d'étude et Marseau, ils font des choses ! »

Les adieux sont à la hauteur de la situation :

« [Marseau] éprouve sa première peine de cœur sérieuse ; mais troublé et contraint de s'avouer qu'il regrette le maître d'étude un peu comme une petite cousine, il se tient à l'écart, inquiet, presque honteux. »

Poil de Carotte, lui, après s'être coupé la main à un carreau, se barbouille la figure avec son sang et s'exclame :

« Pourquoi que vous l'embrassiez et que vous ne m'embrassiez pas, moi ? [...] Moi aussi, j'ai des joues rouges, quand j'en veux ! »


Du même auteur : L'écornifleur

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L
Ce qui est intéressant dans ce passage c'est l'ambiguïté de la situation. Tout est sous-entendu et le lecteur peut encore douter qu'il y ait eu un acte déplacé de la part de ce professeur. Toutefois, si Poil de carotte dénonce cet acte interdit, ce ne sont pas pour les bonnes raisons. Il a une manière inhabituelle de demander de l'affection, mais son envie d'être aimée est sincère alors qu'il se barbouille de sang pour imiter les joues rouges du jeune Marseau qui a été abusé.
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