Fragments érotiques par Aragon
Ecrit entre les années 1923 et 1927, l'ouvrage, La Défense de l'infini (1), a été seulement édité en 1986. Plus exactement, ce qu'il en restait puisque Aragon brûla une grande partie de son manuscrit.
Il est donc difficile de juger, à travers les débris d'un texte, ce que pouvait être l'œuvre dans son intégralité. Difficile de dire aussi si l'érotisme en était son propos.
L'éditeur a réservé la fin du volume à la publication des aventures inachevées d'un personnage fantastique, Jean-Foutre La Bite.
Ce récit qui puise ses sources d'inspiration dans Les Onze Mille Verges de Guillaume Apollinaire traduit un délire orgiaque : dans un univers putride cohabitent et copulent en chœur la comtesse de la Motte, M. Pisse, l'abbé, Jean-Foutre, l'inspecteur, Burette, etc.
Extrait de Les Aventures de Jean-Foutre La Bite :
« Mais bien sûr si ce n'est par enchantement veuillez m'expliquer comment il se pourrait faire que tout le monde ait trouvé naturel, absolument pas remarquable, de voir une énorme bite, atteignant en hauteur la taille d'un homme moyen, je veux dire avec ses autres membres, marchant je ne sais comment, une sorte de foulard au-dessous du gland, et les couilles drapées dans un plaid écossais de teintes sombres, rapiécé en plus d'un endroit ? Or personne ne regardait cette apparition singulière dans l'ascenseur, ni sur le quai du métro Cité où elle se dandinait avec une suffisance, une assurance inconcevable. Juste un coup d'oeil indifférent, au passage, un pardon-excuses si on l'avait heurtée. Evidemment il y avait de la magie là-dessous.
C'était une fort belle bite, non seulement par ses dimensions majestueuses, son maintien très viril et l'aisance de ses mouvements, mais également par un grand air de jeunesse et d'innocence qui lui valait certainement auprès des femmes un succès dont elle commençait à prendre conscience. Une expression rêveuse, le méat toujours légèrement ouvert, ajoutait encore à son charme juvénile. A l'instant où elle attend sous la pancarte des premières, la Bite peigne soigneusement par l'ouverture de son plaid les poils follets de ses couilles, deux couilles solides et rebondies qui ne déparent pas le membre qu'elles complètent. Il est fort heureux pour nous que la Bite se parle à voix basse, nous allons saisir ses pensées. »
(1) La Défense de l'infini, suivi de Les Aventures de Jean-Foutre La Bite, Aragon, éditions Gallimard, 1986, ISBN : 2070707938
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