La danse du coucou, Aidan Chambers (2)
Ça commence par une coupure de presse - fait divers étrange. On referme le livre sur une autre coupure de presse - le même fait divers, élucidé par la plume éclairée d'un quelconque pigiste. Entre temps, vous avez parcouru un très beau livre.
Le récit d'une vie, mais aussi d'une passion dans l'Angleterre d'aujourd'hui. Henry, surnommé Hal, dans un style très direct se plaît à nous prendre comme complices. Le lecteur est un exutoire, comme la traditionnelle feuille de papier chargée de recueillir nos émotions comme nos angoisses... Sans difficulté, on marche dans la combine.
Nous voilà spectateur d'une fabuleuse histoire d'amour entre deux adolescents, Hal et Barry, qui se rencontrent par hasard et qui durant sept semaines vont s'aimer et tout se jurer. Une dispute violente (pour une fille) les sépare définitivement, Barry se tuant, au sortir de celle-ci, dans un accident de moto. Hal resté seul veut accomplir sa promesse : aller danser sur la tombe de son ami. Cette profanation accomplie suscite une enquête qui entrecoupe le récit de Hal. Cache-cache délicieux entre les deux récits mais aussi jeu avec le lecteur qui progresse dans le roman selon deux rythmes et deux styles différents.
Ce livre est remarquable de par le langage résolument moderne. Il s'agit de la langue de notre quotidien, à la fois imagée, argotique et souvent drôle. Toujours riche, sans jamais être impropre même si quelques expressions mode ou branchées sont parfois discutables. Remarquable aussi de par l'histoire.
Relation homosexuelle certes, mais avant tout histoire d'amour. Jamais l'homosexualité ne pose problème à ces deux adolescents (sauf peut-être au moment d'une confrontation avec des loubards). Sans arrêt, le héros questionne l'amour, en relativisant sans la nier sa «couleur» sexuelle.
Ainsi vous n'apprendrez rien sur le «coming-out» des adolescents comme vous ne lirez rien qui puisse érotiser votre imagination quant à leur sexualité débutante...
C'est aussi pour cela que ce roman est formidable. Parce qu'il neutralise la sexualité pour mettre en avant l'intensité d'un rapport purement passionnel.
En effet. Hal est un garçon de seize ans et demi, pris au piège de sa passion. Il vit ce que nous croyons être des histoires d'adultes. Lui, se sait bouffé par l'amour, se sent impuissant et vulnérable parce qu'à la recherche d'un maître gourou qui lui donne l'envie et l'ambition de vivre. L'autre prend du plaisir à n'être qu'un amant pédagogue, aime les histoires d'amour à leur commencement lorsqu'il faut parvenir à se faire désirer.
Aidan Chambers, dans une mise en scène vivante (la structure du roman est presque celle d'un policier) et un décor contemporain, fait revivre dans une histoire l'un des éternels problèmes que posait Barthes dans «Fragments d'un discours amoureux.»
Ce roman est aussi l'ébauche d'une réflexion sur l'écriture. Un livre qui se dit prétexte d'une thérapie expiatoire révélant beaucoup sur l'action d'écrire sur soi. Lorsqu'on est sa propre matière première on cesse de penser à soi pour de plus en plus penser à l'œuvre, à l'écriture. C'est du moins ce qu'affirme Hal et qu'il appelle «une mosaïque d'un moi-qui-fus.» Voilà aussi à quoi peut mener une histoire d'amour. Un livre à ne pas négliger.
Revue Masques n°21, Didier Varrod, printemps 1984
■ La danse du coucou, Aidan Chambers, Éditions du Seuil, Collection Points-Virgule, 1983, ISBN : 2020066246
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Lire l'analyse de Lionel Labosse
Du même auteur : La maison du pont