Je suis blessure par Yunus Emré
La plus belle fois qu'un homme a dit je t'aime à un autre homme, c'était au XIIIe siècle. Quelque part en Anatolie...
« Tout sacrifiant à cet amour, vois ce que l'amour a fait de moi. Tout donnant à cette querelle, vois ce que la querelle m'a donné.
Je pleure et brûle, couleur de feu, couleur de sang, ni fou ni sage : vois ce que l'amour a fait de moi.
Mejnoun, insensé, pour sa Leïla, je marche et chemine, en rêvant, vers l'Ami. Hélas, éveillé : vois ce que l'amour fait de moi.
L'amour m'a si fort enivré, non seulement l'esprit mais mon coeur et mon corps aliénés, qu'il semble avoir, quasi, voulu m'assassiner. Vois ce que l'amour fait de moi.
Soufflant comme les vents, nuage de poussière, je suis torrent qui dévale. Vois ce que l'amour fait de moi.
Je suis l'eau murmurante des sources – mon coeur marqué de feu – et pleure par amour de l'Ami. Vois ce que l'amour fait de moi.
Le teint jaune, mes yeux humides, poitrine déchirée, poumon navré, ô frère qui m'as connu, vois ce que l'amour a fait de moi.
Humble Yunus, infortuné, tu es blessure. Mon coeur et mon être égarés par la pensée de l'Ami. Vois ce que l'amour fait de moi. »
in Le Divan, par Yunus Emré, traduit du turc et préfacé par Yves Régnier, Editions Gallimard, Collection Métamorphoses, 1963, ISBN : 2070222160